Littérature : « Négritude et négrologues », de Stanislas Spero Adotevi
July 28, 2017 Old-eagle
Tout livre appartient d’abord à son époque. « Négritude et négrologues » a été écrit dans l’élan du Festival panafricain d’Alger de 1969, et du souffle de contestation qui s’en était répandu sur tout le continent africain.
Il est publié en France en 1972, durant ce qui était encore la guerre froide. Le monde était bipolaire (terme qui n’était pas encore psychiatrique), et dans beaucoup d’esprits la révolution n’était pas qu’une idée, c’était aussi un projet. Stanislas Adotevi défendait à la fois l’idée et le projet. Né en 1934, ce Béninois a étudié en France dans les années 1950. D’abord la philosophie, avec Althusser, puis l’anthropologie, jusqu’à un doctorat sur l’impact du système colonial sur le développement de l’Afrique.
L’oreille de Sankara
Dans les années 1960, il est ministre de l’Information puis de la Culture au Bénin. Dans les années 1970, il fait carrière en France à l’université et dans l’édition. À l’époque de sa publication, Négritude et négrologues rencontre un écho parmi les intelligentsias d’Afrique de l’Ouest. Cela vaudra à son auteur d’avoir l’oreille d’un Sankara, qui y trouve une inspiration pour sa révolution burkinabè, qu’il souhaitait africaine plutôt que livrée clés en main.
Le concept de négritude remonte aux années 1930, à Césaire et à Senghor, qui la proclament identité commune des peuples noirs d’Afrique et d’ailleurs. Elle dit la fierté d’être autre, d’être soi, d’être noir – et même nègre.
L’insulte devient revendication et défi. Cette négritude est avant tout littéraire. Elle devient politique quand Senghor, élu président, la rattache à son propre socialisme africain. Dès les premières pages, Adotevi dénonce le sort fait à cette négritude des débuts : « On a dit qu’elle est un chant pur, un rythme, un élan. Pas un acte, mais un dogme silencieux. (…) L’offrande lyrique du poète à sa propre obscurité désespérément au passé. »
Négritude révolutionnaire contre négrologues passéistes
Il reproche ce passéisme aux négrologues, ceux-là qu’il accuse de célébrer le nègre au lieu de le libérer. En tout premier lieu Senghor, dont il dénonce la négritude comme étant un essentialisme au service du néocolonialisme. « L’émotion est nègre, comme la raison est hellène », disait le poète-président.
Stanislas Spero Adotevi en appelle à une négritude révolutionnaire aux accents marxistes, en rupture avec le capitalisme et le néocolonialisme. Le propos est radical, il appartient à une Afrique qui comptait encore des colonies et des guérillas communistes.
On ne peut certes plus lire cet essai comme alors, mais si l’époque est passée, les problèmes perdurent, le choix du modèle de développement de l’Afrique comme sa place dans la culture globalisée. Le souci d’interroger les mythes fondateurs pour se projeter vers l’avenir a motivé les éditeurs à rééditer un essai qui fut un jalon pour ceux qui voulaient un socialisme proprement africain.
Entre poésie contestataire et littérature officielle
L’enjeu de ses nombreuses rééditions est donc plus politique que littéraire. Le style de l’auteur est lyrique, mais la poésie n’est pas sa priorité. À défaut de donner les clés du futur – celui exposé peut sembler périmé –, ce livre éclaire l’évolution de la négritude entre poésie contestataire et littérature officielle.
Il analyse le destin politique de ce qui fut d’abord un mouvement artistique et qui reste un espoir (un projet ?) pour les nostalgiques des années Sankara. Le futur proposé est daté, mais il aide à comprendre le présent comme toute utopie aide à comprendre le réel auquel elle s'oppose