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Emile Durkheim déterminisme ou holisme?

Durkheim le déterministe ? Durkheim l'holiste ?

Durkheim fut à maintes reprises accusé de déterminisme et d'holisme (Raymond Aron en particulier attaquerait l'holisme supposé de Durkheim) à cause de ses positions et sa méthodologie. D'autres critiques vont aussi loin en affirmant que Durkheim est anti-individuel, et qu'il ne laisse aucune place à l'individu dans ses théories. Dans ce sens, Durkheim est souvent comparé à Max Weber, qui privilégie l'individu dans ses analyses87. En effet, quelle liberté reste-t-il à l'homme dans l'œuvre de Durkheim ? Quelle est la place de l'individu dans l'œuvre de Durkheim ?
Bien que Durkheim tentait d'expliquer les phénomènes sociaux à partir des collectivités, il laisse bien la place aux individus et au libre arbitre dans ses théories et ses analyses, et les accusations de déterminisme ou de holisme manquent de prendre en compte et interprètent de façon erronée plusieurs éléments de son œuvre.
Pour commencer, il faut rappeler que les faits sociaux sont à la fois externes et internes aux individus. Durkheim est très clair en disant que les éléments de la société, comme les croyances religieuses, la moralité, ou la langue, sont incorporés et appropriés par les individus de leur propre façon. Alors qu'il est vrai que, par exemple, les représentations collectives sont l'œuvre de la collectivité et expriment la pensée collective à travers l'individu, quand l'individu les assimile, elles sont réfractées et colorées par les expériences de l'individu, les différenciant dans le processus88. Durkheim prend l'exemple de la moralité, et dit: « Bien qu'il y ait une morale du groupe...chaque homme a sa morale à soi: même là où le conformisme est le plus complet, chaque individu se fait en partie sa morale. Il y a en chacun de nous une vie morale intérieure, et il n'est pas de conscience individuelle qui traduise exactement la conscience morale commune, qui ne lui soit partiellement inadéquate89 » Ainsi dit, chaque individu exprime la société de sa propre manière.
Cela vaut également pour tout fait social qui soit, ce qui permet de détourner les critiques qui disent que la théorie de la religion de Durkheim ne permet pas de foi personnelle. Or, Durkheim explique que la foi religieuse est incorporée et interprétée par chaque individu. Dans ce sens il existe la foi commune, une doctrine ou idéale, partagée par tous les membres d'une société, et la foi individuelle, qui est un mélange de la personnalité et les expériences de l'individu d'une part, et de la foi collective, voire idéale, de l'autre90.
Il faut se souvenir d'ailleurs que les fait sociaux émergent de la fusion des consciences individuelles. Dans tout cela, il existe une réciprocité délicate entre l'individu et la société qui est négligée par les critiques de Durkheim. Dans l'œuvre de Durkheim, non seulement les individus conservent leur individualité, mais ils ont la possibilité d'enrichir le champ des forces sociales à travers la contribution de leurs propres sentiments et pensées88.
Dans un autre sens, les critiques de Durkheim à cet égard manquent de voir son analyse de la société moderne. Comme Durkheim l'expose dans De la division du travail social, quand la densité morale d'une société augmente, la division du travail augmente, ce qui crée des différences entre les individus et mène à la solidarité organique. La société, donc, individualise et se différencie par nécessité. En conséquence, les individus sont fournis de plus en plus de liberté pour développer leur personnalité. Au moins dans la société occidentale, l'individu est devenu l'objet d'un culte. L'individu est un objet sacré et la protection de ses libertés personnelles et de sa dignité humaine sont devenues des idéaux moraux de premier rang. Donné que cet individualisme est un produit de la vie collective, la société moderne encourage l'autonomie, la diversité, et la liberté individuelle comme des normes sociales88.
On peut également indiquer le rôle accordé au libre arbitre par Durkheim dans la vie morale d'une société. Pour lui l'individu n'est pas soumis inconditionnellement aux règles morales. Ils ont toujours l'option de se révolter contre la moralité dominante en vue de la réformer. Pour illustrer ce phénomène, Durkheim fournit l'exemple de Socrate, qui a refusé la morale de son temps et en a installé une nouvelle91.
Pour toutes ces raisons, accuser Durkheim de déterminisme ou d'holisme n'est pas aussi facile qu'il puisse paraître à première vue. Pour Durkheim il n'existe aucun antagonisme entre la société et l'individu et Durkheim n'efface jamais l'individu de ses analyses. L'individu est au cœur de son œuvre92.
Le changement social ?

Durkheim est souvent rejeté en tant que penseur incapable de penser le changement. On l'associe souvent avec un structuralisme rigide et figé. Ces critiques, comme l'a montré Robert Leroux93, sont loin d'être valables. Non seulement Durkheim est-il capable de penser le changement social, le changement social est au cœur de son projet sociologique, voire philosophique. Son œuvre contient une théorie du changement social ainsi que plusieurs analyses dynamiques.

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