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Malthus contre Marx

Malthus contre Marx, le face à face…
MALTHUS :
Monsieur Marx, je me fais un plaisir de vous donner la contradiction aujourd’hui. Votre œuvre économique et sociologique est certainement imposante par son ampleur et sa logique, et elle prétend enfoncer mes études qui l’ont précédée mais je me fais fort de vous contredire en peu de phrases et de mots. Votre étude du capitalisme et votre conception socialiste tombent toutes les deux dès le premier point. Et ce premier point, dont toute étude d’une société doit tenir compte et dont elle ne peut empêcher l’action, est la loi de population car celle-ci s’impose à toutes les sociétés. Les effectifs des populations croissent comme ceux des autres êtres vivants et, si on n’y oppose pas une politique volontariste de limitation des naissances et des mariages contre les futurs ménages incapables de nourrir leur progéniture, on se retrouve fatalement avec une famine, avec une misère, avec un chômage croissants et tous les désagréments insurrectionnels qui vont avec. Comme vous évacuez cette question, tant dans votre Capital que dans votre Manifeste communiste, vous me permettrez de n’être ni d’accord avec votre vision de la société capitaliste ni avec celle de votre utopie socialiste. Toute population qui laisse se développer les naissances et les mariages de manière libre doit nécessairement produire de la misère, de la souffrance et doit également produire des violences par lesquelles les fractions de la population qui ne subissent nullement la misère vont souffrir également. A l’inverse, ma proposition d’interdire un certain niveau de développement de la population pauvre est le meilleur moyen, à la fois de limiter la misère et de limiter la révolte des pauvres et ainsi d’assurer une vie plus harmonieuse à ceux qui ont de bons moyens d’existence. Comme moi vous posez la question clef qui est : Quelles sont les causes qui ont gêné jusqu’à présent le progrès de l’humanité vers le bonheur ? Mais nous répondons de deux manières diamétralement opposées. La cause principale que j’ai retenue est la tendance constante de tous les êtres vivants à accroître leur espèce au-delà des ressources de nourriture dont ils peuvent disposer. A l’inverse, selon vous, les périodes de famine, de misère de masse, de chômage de masse, de violences de toutes sortes sont le produit des cycles économiques du capitalisme. Là où je vois un mécanisme naturel de la procréation des êtres vivants, la tendance à se reproduire au-delà des capacités de satisfaction des besoins, loi qui concerne aussi bien le genre humain que les plantes ou les animaux, vous voyez une loi qui est propre à la société bourgeoise et qui nécessitera une révolution sociale pour être abolie. Mais, bien entendu, vous ne démontrez nullement comment une autre société dite socialiste pourra abolir une loi de la nature, d’autant que vous niez l’existence même de cette loi, pourtant reconnue par la science, puisqu’elle fonde même les études de Darwin sur l’évolution des espèces.
MARX :
Monsieur Malthus, je viendrai un peu plus tard à la question des thèses de Darwin pour ce qui concerne l’évolution du vivant mais je me permettrai d’abord de vous rappeler que la société humaine ne fait pas qu’appliquer les lois de la nature. Elle produit d’autres lois qui peuvent même aller contradictoirement, au sens dialectique, avec les précédentes. Par exemple, l’hérédité n’est pas fondée sur la transmission des caractères acquis mais l’éducation des êtres humains s’est développée à tel point qu’une certaine forme de transmission de caractère acquis est possible entre les générations d’êtres humains. Et ce n’est là qu’un exemple pour montrer que toute loi de croissance animale ne s’applique pas simplement à la société humaine, étant donné que celle-ci n’est pas seulement naturelle mais de plus sociale. La procréation est interactive avec les lois économiques, sociales et politiques. Or celles-ci changent d’un mode de production à un autre, d’un niveau à un autre des relations entre les classes sociales et d’abord avec l’apparition des classes, elle-même. Tandis que votre prétendue loi de population, que vous appelez d’ailleurs « principe » de population, un principe n’ayant pas besoin d’être démontré puisqu’il est censé être premier, a la particularité de rester toujours identique à elle-même malgré ces changements sociaux et historiques. Nous rediscuterons plus avant la question du socialisme et de la régulation qui y serait possible ou pas des populations. Mais il convient tout d’abord de récuser votre manière de placer la question démographique comme un point situé à part, en dehors et au dessus de tout le fonctionnement de la société. C’est cette affirmation qu’il s’agit d’abord de mettre en débat, ce que vous n’avez jamais fait clairement.
MALTHUS :
Vous niez l’existence d’une loi de population s’imposant à tous les modes sociaux et économiques mais comment pouvez-vous prétendre que la loi de population, menant à certaines surpopulations catastrophiques, découlerait spécifiquement du système capitaliste ?
MARX :
Effectivement, j’estime que la démographie n’est pas un facteur premier mais un sous-produit historique du système d’exploitation. On ne peut pas raisonner sur les sociétés humaines comme s’il s’agissait d’un accroissement par multiplication d’une population de lapins !
Il y a effectivement un lien entre les particularités du développement capitaliste et la production par lui d’une surpopulation relative. Examinons comment ce lien s’établit. Dans le progrès de l’accumulation capitaliste, il n’y a donc pas seulement accroissement quantitatif et simultané des divers éléments réels du capital : le développement des puissances productives du travail social, que ce progrès amène, se manifeste encore par des changements qualitatifs, par des changements graduels dans la composition technique du capital, dont le facteur objectif gagne progressivement en grandeur, proportionnelle par rapport au facteur subjectif. C’est-à-dire que la masse de l’outillage et des matériaux augmente de plus en plus en comparaison de la somme de force de travail nécessaire pour les mettre en œuvre. A mesure donc que l’accroissement du capital rend le travail plus productif, il en diminue la demande proportionnellement à sa propre grandeur.
D’une part donc, le capital additionnel qui se forme dans le cours de l’accumulation renforcée par la centralisation attire, proportionnellement à sa grandeur, un nombre de travailleurs toujours décroissant. D’autre part, les métamorphoses techniques et les changements correspondants dans la composition-valeur que l’ancien capital subit périodiquement font qu’il repousse un nombre de plus en plus grand de travailleurs jadis attirés par lui.
La demande de travail absolue qu’occasionne un capital est en raison non de sa grandeur absolue, mais de celle de sa partie variable, qui seule s’échange contre la force de travail. La demande de travail qu’occasionne un capital, c’est-à-dire la proportion entre sa propre grandeur et la quantité de travail qu’il absorbe, est déterminée par la grandeur proportionnelle de sa fraction variable. Nous venons de démontrer que l’accumulation qui fait grossir le capital social réduit simultanément la grandeur proportionnelle de sa partie variable, et diminue ainsi la demande de travail relative. Maintenant, quel est l’effet de ce mouvement sur le sort de la classe salariée ?...
La loi de décroissance proportionnelle du capital variable, et de la diminution correspondante dans la demande de travail relative, a donc pour corollaires l’accroissement absolu du capital variable et l’augmentation absolue de la demande de travail suivant une proportion décroissante, et enfin, pour complément, la production d’une surpopulation relative. Nous l’appelons « relative », parce qu’elle provient, non d’un accroissement positif de la population ouvrière qui dépasserait les limites de la richesse en voie d’accumulation, mais, au contraire, d’un accroissement accéléré du capital social qui lui permet de se passer d’une partie plus ou moins considérable de ses manouvriers. Comme cette surpopulation n’existe que par rapport aux besoins momentanés de l’exploitation capitaliste, elle peut s’enfler et se resserrer d’une manière subite.
En produisant l’accumulation du capital, et à mesure qu’elle y réussit, la classe salariée produit donc elle-même les instruments de sa mise en retraite ou de sa métamorphose en surpopulation relative. Voilà la « loi de population » qui distingue l’époque capitaliste et correspond à son mode de production particulier. En effet, chacun des modes historiques de la production sociale a aussi sa loi de population propre, loi qui ne s’applique qu’à lui, qui passe avec lui et n’a par conséquent qu’une valeur historique. Une loi de population abstraite et immuable n’existe que pour la plante et l’animal, et encore seulement tant qu’ils ne subissent pas l’influence de l’homme.
MALTHUS :
Bien au contraire, je vous signale que dès que la première version de mon étude est parue, je me suis livré au débat avec tout ce que la société comptait de savants de toutes sortes et chacun des points que je défend a pu être débattu, ma thèse affiné, développé d’année en année et reconnue ensuite de nombreuses sommités de l’économie, de la sociologie et de la politique.
MARX :
Je tiens à rappeler que votre originalité à l’époque de parution de vos thèses ne provient que de votre ignorance de la science de l’époque, qu’il s’agisse de la science des sociétés humaines, de la science économique ou de la science de la nature. Même si, aujourd’hui, chacun peut croire que vous avez découvert vous-même ce soi-disant « principe de population », je rappellerai qu’il n’en est rien et que vous avez tout simplement copié l’essentiel de vos idées chez vos devanciers, sans même les citer. Certes, personne n’est propriétaire des idées qu’il développe mais, pour votre part, vous auriez plutôt tendance à vous présenter comme l’auteur unique de vos thèses.
Vous affirmiez dans votre introduction : « L’essai sur le Principe de Population que j’ai publié en 1798 me fut suggéré par un Essai que M. Godwin a publié dans son « Inquirer ». J’ai alors suivi l’impulsion du moment et travaillé avec les éléments que j’avais sous la main dans ma résidence campagnarde. Hume, Wallace, Adam Smith et le Dr Price ont été les auteurs dont je me suis inspiré pour dégager le Principe sur lequel est basé mon Essai. »
En réalité, vous ne citez là que les auteurs que vous avez combattus et non ceux que vous avez tout simplement pillé. Je me permettrai de vous faire remarquer que vous oubliez opportunément l’essentiel des œuvres qui ne vous ont pas seulement inspiré mais que vous avez simplement copiées. Indépendamment des travaux de Sismondi qui vont ont précède d’un an, et que vous copiez sans comprendre, votre ouvrage n’est qu’une déclaration d’écolier sur des textes empruntés à De Foë, Franklin, Wallace, sir James Stewart, Townsend, etc. Il n’y a ni une recherche ni une idée de votre cru. Votre essai n’a d’originalité que dans une plus grande ignorance des lois historiques de l’économie que vous remplacez par les lois prétendument éternelles de la population, comme si elles s’appliquaient sans changement aux diverses sociétés humaines, aux divers modes de production, aux diverses époques.
Nous devons cependant vous remercier d’avoir fourni ainsi l’expression la plus crue des buts de la bourgeoisie capitaliste selon lesquels la population prolétarienne est cause de ses propres malheurs, selon lesquels la terre est constamment surpeuplée, et par conséquent, il est fatal que règnent la misère, la détresse, la pauvreté et l’immoralité ; c’est le sort de l’humanité et sa destination éternelle que d’exister en trop grand nombre et par conséquent d’être divisée en différentes classes, dont les unes sont selon lui plus ou moins riches, cultivées, morales, et les autres plus ou moins pauvres, misérables, ignorantes et immorales.
MALTHUS :
Il peut paraître saugrenu, plus de deux cents ans plus tard, de faire ainsi comparaitre deux auteurs fameux de thèses, qui avaient fait parler d’elles à leur époque, dans les années 1800 à 1830 pour les miennes et dans les années 1840 à 1880 pour les vôtres, concernant le développement de la misère, du chômage, des inégalités, des oppositions accrues entre riches et pauvres, et des moyens d’y faire face, monsieur Marx. Cependant, nos thèses continuent à être débattues, la vôtre comme la mienne, et il me semble que cette confrontation n’a rien d’un retour au passé puisqu’en 2014, avec la crise actuelle, se pose justement cette question : la planète a-t-elle les moyens de subvenir aux besoins de l’ensemble de ses habitants et la croissance industrielle et capitaliste suffit-elle pour faire face à des besoins sans cesse accrus alors que la planète n’est pas illimitée ni ses ressources agricoles ou industrielles ? Pouvons-nous et devons-nous laisser la population s’accroître sans limite comme elle le fera si on n’y prête garde alors que les moyens de satisfaire les besoins de cette population ne sont pas illimités ? La question ne me semble pas dépassée par les événements… Combien d’économistes actuels, d’hommes politiques, de sociologues ne la posent pas autrement. On entend de plus en plus parler de thèses dites « décroissantes » et des démographes recommencent à se poser la question des risques pour les populations notamment d’Afrique en but à une démographie galopante alors que les ressources ne croissent nullement en proportion. La population des pays développés regarde avec inquiétude le développement d’une population en nombres explosifs dans les pays pauvres et sent venir le moment où, comme je l’exposais dans les thèses, la misère des plus pauvres viendra violemment déranger le confort et la tranquillité des plus aisés.
Et, puisque notre conversation a lieu en 2014, alors que la société ne semble pas en état de sortir de sa crise, je débuterai en disant que la crise actuelle montre que j’avais parfaitement raison : la croissance ininterrompue à des limites et la démographie ne peut croître non plus sans limite car la Terre est limitée et ses ressources aussi… Il est plus que temps d’admettre que le capitalisme ne peut pas nourrir un nombre sans cesse croissant de bouches. Même l’agriculture industrielle a atteint ses limites. Les thèses de décroissance ou de croissance zéro ont de plus en plus d’influence et ce n’est pas un hasard.
MARX :
C’est commencer effectivement par le point d’achoppement, car cette affirmation, selon laquelle vous auriez découvert une loi permanente, indépendante du type de société, de l’époque, du niveau économique, prétend effectivement prendre comme un principe de base ce qu’il s’agirait d’abord de démontrer, à savoir que la population, croîtrait, dans tous les types de sociétés de la même manière mathématique, comme une suite géométrique donc de manière mulltiplicative alors que les ressources croitraient selon vous de manière arithmétique, c’est-à-dire additive). Or ce que vous ignorez mais que l’histoire enseigne, c’est justement que les naissances ne sont pas identiques suivant les modes de production, suivant les mœurs, suivant les relations entre hommes et femmes, suivant le niveau de vie et suivant bien d’autres critères encore.
Vous affirmiez ainsi que « Nous pouvons être certains que lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle double tous les vingt-cinq ans, et croît ainsi de période en période selon une progression géométrique. » Or telle n’est absolument pas le cas. Des limitations sociales, qui ne sont fondées sur aucun obstacle, aucun interdit notamment, on en voit de multiples, notamment aujourd’hui dans le monde moderne où la démographie du globe a tendance à plafonner et, dans la plupart des régions du monde, sans avoir besoin des interdits du type de ceux qu’on trouve en Chine. D’autre part, les régions du monde où la natalité croît encore de manière un peu plus explosive, comme certains pays d’Afrique, on peut constater que ce n’est nullement parce que les moyens de subsistance y seraient trop importants, laissant entendre aux populations qu’elles peuvent librement procréer. Au contraire de vos raisonnements, ce sont des pays où règne la misère la plus dure comme le Niger qui ont le plus d’enfants par couple ! Votre proposition de s’attaquer à la croissance de la population en diminuant l’accès de celle-ci aux biens de subsistance tombe donc d’elle-même !
D’autre part, votre texte affirmait que la révolution industrielle serait incapable de développer les moyens de subsistance à proportion de la croissance de la population. Rappelez-vous que vous y écriviez que « Ce qu’on nous dit de la Chine et du Japon permet de penser que tous les efforts de l’industrie humaine ne réussiront jamais à y doubler le produit du sol, quel que soit le temps qu’on accorde. » Là encore, les faits ne vous ont pas donné raison : qu’il s’agisse de l’Asie ou du reste du monde, j’avais bien raison de penser que le capitalisme allait ouvrir au contraire des possibilités en croissance rapide pour répondre aux besoins des hommes et que la seule limite que mettrait le système capitaliste serait le fait qu’il ne travaille pas pour la collectivité humaine mais pour l’infime minorité de propriétaires de capitaux et que le fonctionnement du système est, du coup, amené à agir aveuglément en fonction de ces intérêts individuels, provoquant ainsi périodiquement des crises de surproduction. Les crises de surproduction de population, dont vous faites votre principe de base, ne sont que la conséquence des crises économiques du capitalisme. Peut-on dire qu’en 2014, vos prédictions se soient vérifiées alors que je vous rappelle qu’elles prédisaient la catastrophe au plus tard en 50 ans soit en 1850. Je vous cite :
« Comptons pour onze millions la population de la Grande-Bretagne, et supposons que le produit actuel de son soi suffit pour la maintenir. Au bout de vingt-cinq ans, la population sera de vingt-deux millions ; et la nourriture ayant également doublé, elle suffira encore à l’entretenir. Après une seconde période de vingt-cinq ans, la population sera portée à quarante-quatre millions : mais les moyens de subsistance ne pourront plus nourrir que trente-trois millions d’habitants. Dans la période suivante, la population - arrivée à quatre-vingt-huit millions - ne trouvera des moyens de subsistance que pour la moitié de ce nombre. A la fin du premier siècle, la population sera de cent soixante-seize millions, tandis que les moyens de subsistance ne pourront suffire qu’à cinquante-cinq millions seulement. Cent vingt et un millions d’hommes seront ainsi condamnés à mourir de faim ! »
Loin d’être une démonstration de votre loi de croissance géométrique des effectifs de la population et de votre loi arithmétique de croissance des produits agricoles, tout votre ouvrage « Essai sur le principe de population » n’est jamais une démonstration d’un tel principe et toute son argumentation vise, au contraire, par des développements soi-disant historiques, à expliquer comment vos lois n’ont pas pu s’appliquer aux différents peuples de la terre. Vous cherchez à démontrer que, si votre loi ne s’est pas appliquée aux peuples précédents, si la terre n’a donc pas été couverte d’hommes comme elle a été couverte de plantes, pour reprendre votre comparaison, ce serait à cause des particularités de ces peuples. Par exemple, vous affirmez que les peuples que vous appelez barbare, de par leur barbarie, enfantent moins et vous l’expliquez de la manière suivante :
« Chez ces peuples, l’amour est l’occasion d’actes de violence et de férocité. C’est parmi les femmes d’une tribu ennemie que le jeune sauvage doit faire son choix. Il épie le moment où celle qu’il recherche est seule et éloignée de ses protecteurs naturels ; il s’approche sans être aperçu, l’étourdit d’un coup de massue ou d’une épée de bois dur et la frappe sur la tête, le dos et les épaules, si rudement que chaque coup fait couler des flots de sang. Il l’enlève et la traîne à travers la forêt, sans se mettre en peine des pierres ou des éclats de bois dont la route est semée, impatient d’amener sa proie jusqu’au repaire de sa propre tribu. Là, après d’autres actes de barbarie, la femme est reconnue comme étant sa propriété et il est rare qu’elle quitte son nouveau maître. Cependant, cet outrage n’est pas vengé directement par les parents de la femme enlevée, si ce n’est qu’il leur fournit un prétexte pour enlever à leur tour les femmes de leurs ennemis. »
Ainsi, la violence des prétendus « peuples barbares » expliquerait les défauts de naissance qui empêcheraient que la loi de croissance de population, dite malthusienne, puisse librement se développer…
La manière, elle-même assez barbare intellectuellement par laquelle vous décrivez ces peuples, loin de nous prouver que ces peuples sont inférieurs aux sentiments que vous concevez à leur égard, démontre plutôt l’inverse. Très loin d’une étude scientifique démontrant votre loi de population, de telles remarques prouvent seulement que vous ne comptez vous fonder que sur l’ignorance et la grossièreté pour attester de vos thèses et les faire passer dans le grand public.
Chaque chapitre de votre essai est une nouvelle raison qui expliquerait dans toutes les situations historiques pourquoi l’homme, pourtant soumis à votre principe immuable de croissance géométrique, n’y serait pas localement et conjoncturellement soumis.
Les intitulés des chapitres eux-mêmes sont déjà parlants :
  Les obstacles à l’accroissement de la population chez les peuples les moins élevés dans l’organisation sociale
  Obstacles à l’accroissement de la population chez les Indiens d’Amérique
  Obstacles qui s’opposaient à l’accroissement de la population chez les Grecs
  Obstacles qui s’opposent à l’accroissement de la population en France
Il découle de tout cela que votre fameuse loi, que vous estimez universellement reconnue, n’a jamais pu être observée nulle part, car dans toutes les sociétés qui précédaient le capitalisme, vous découvrez mille et mille raisons pour que cette loi ait été inhibée, détournée, empêchée…
Vous concluiez votre ouvrage en affirmant que, dans le monde capitaliste qui produit sans cesse plus de biens, les limitations de la croissance de la population par la misère, par la famine, par les épidémies, par les violence de toutes sortes étant affaiblies, la société serait menacée par une telle croissance de population sans frein. Je vous cite :
« Ainsi, en examinant l’histoire du genre humain, à toutes les époques et dans toutes les situations où l’homme a vécu et vit encore, on peut admettre que :
  l’accroissement de la population est nécessairement limité par les moyens de subsistance ;
  la population augmente en même temps que les moyens de subsistance, à moins que cet accroissement ne soit empêché par des obstacles puissants et faciles à déceler ; - ces obstacles, et tous ceux qui ramènent la population au niveau des subsistances, sont la contrainte morale, le vice et la misère.
D’après tout ce qui précède, on voit assez clairement que, dans l’Europe moderne, les obstacles destructifs ont moins de force pour arrêter la population ; au contraire, les obstacles préventifs ont plus de force qu’autrefois, ou qu’ils en ont chez les peuples moins civilisés. » Or, il s’avère, a contrario de vos affirmations, que, dès qu’une société atteint un niveau de vie suffisamment élevé, le nombre d’enfants par famille stagne et même régresse. Les études démographiques sont constantes en la matière, indépendamment des régions du monde. Votre raisonnement sur la croissance démographique est donc fondé sur une relation inverse de celle observée. C’est la pénurie qui favorise la croissance de population et non la croissance des moyens de subsistance.
MALTHUS :
Je comprends que mon principe de population (et d’abord la tendance à la surpopulation qui entraîne, du coup, la tendance au dépassement des moyens de subsistance du fait des limites des capacités de la terre) vous gène considérablement au point que vous cherchiez à en nier l’existence : ce principe suffit à détruire la somme de préjugés de votre œuvre. Si on admet ce principe de population, tout votre songe socialiste tombe immédiatement. Jamais une population de prolétaires livrée à elle-même, dirigeant une société dite socialiste ne pourrait davantage faire face au développement exagéré des besoins et jamais elle ne pourrait les satisfaire en laissant la liberté des relations sexuelles que vous prétendez maintenir. Quant à vos critiques du capitalisme, elles deviennent elles-mêmes caduques puisque vous refusez à critiquer le système sur sa contradiction fondamentale : l’impossibilité de répondre sans cesse à une demande croissante des consommateurs. La surpopulation, voilà la contradiction principale que vous refusez de voir car elle remet en question le développement que vous imaginiez comme suite au capitalisme, s’opposant au capitalisme mais en se construisant sur ses propres bases.
MARX :
Est-ce que la crise actuelle donne raison à mon analyse des contradictions du capitalisme ou à la votre ? Il est certain en tout cas qu’aucune des deux thèses ne prédisait le monde actuel ni ne l’imaginait et c’est bien normal. Einstein n’avait pas davantage prédit que sa thèse de la relativité en physique allait mener à la bombe atomique… Vous n’aviez tellement pas prédit le monde actuel que vous pensiez qu’en vingt ans tout allait s’effondrer et il est bien possible que, moi aussi, je n’envisageai pas des délai aussi longs pour que le capitalisme connaisse des crises révolutionnaires.
Je crains qu’on ne puisse pas raisonner en disant que la crise actuelle donne raison à une thèse ou à une autre, vu la distance de temps entre nos analyses et cette situation. Même mon « Capital » est très loin de l’époque actuelle sans parler de votre "l’Essai sur la loi de population" de Malthus, qui est parue en 1798. D’autant que, si vous trouviez qu’à l’époque la population était trop nombreuse en quantité absolue et non relativement aux moyens de production, que diriez-vous de la croissance de population qui a suivi. Monsieur Malthus, je vous rappelle que vous avez développé une thèse de inéluctabilité de la famine du fait de la croissance soi-disant arithmétique des moyens de subsistance liés à l’exploitation de la terre au moment même où, grâce à la chimie et à la physique, grâce aux engrais et au machinisme notamment, l’’exploitation de l’agriculture venait juste de faire un bond en avant, plutôt exponentiel qu’arithmétique ! Il est donc difficile d’estimer que vous aviez valablement apprécié les problèmes qui allaient ensuite se poser au capitalisme. Non seulement, ce système a permis, sans difficulté, un accroissement massif de la population mais il l’a nécessité. Quant à l’excès de bras que vous releviez et qui provenait des premières crises du capitalisme en Angleterre, il ne prouve nullement une « loi de population » ni un trop grand nombre de naissance mais il est un point indispensable en régime capitaliste : l’existence d’une armée de chômeurs étant une pression nécessaire pour diminuer les salaires et dégrader les conditions de travail. La surpopulation n’est nullement une maladie ou un défaut pour le système capitaliste mais une nécessité et le capitalisme produit à chaque époque un principe de population différent selon ses besoins, c’est-à-dire pousse plus ou moins la population à avoir un grand nombre d’enfants. Mais toujours le capitalisme a besoin que la population soit suffisamment plus nombreuse que les possibilités dont elle dispose pour offrir des emplois. Si ce n’était pas le cas, la pression des grèves ouvrières serait bien trop forte et contraindrait les patrons à céder aux revendications ouvrières. L’existence d’une armée de chômeurs, d’une pression de ce chômage sur les salariés actifs n’est pas accidentelle. C’est une nécessité pour le capitalisme afin de mettre en concurrence entre eux les prolétaires. Ce n’est pas un simple principe éternel de population… D’ailleurs les pays riches capitalistes, en voyant leur taux de naissance largement en baisse sans politique volontariste de baisse des naissances ni de baisse des mariages, montre bien qu’il n’existe aucun « principe de population » qui s’appliquerait en tout temps et en tout lieu. Les populations les plus pauvres ont certainement plus d’enfants et ce pour des raisons multiples. Mais ce point lui-même vous avait échappé…
MALTHUS :
Les pauvres font trop d’enfants, mais voilà exactement que vous en venez au même point que moi ! C’est très exactement le problème : peut-on laisser une population faire des enfants en nombre et demander ensuite aux autres de se débrouiller avec ce trop plein de bouches à nourrir en considérant comme un droit de mettre toutes ces bouches devant le peu de restaurant s qu’offre une société ? Est-ce que le monde capitaliste, avant même sa crise de 2007-2008 n’a pas démontré que la population était excédentaire ? Est-ce qu’elle ne l’a pas démontré dans deux guerres mondiales ? Est-ce qu’elle ne l’a pas démontré par plusieurs famines ? Est-ce que la faim dans le monde comme les maladies ne le démontrent pas régulièrement ? Est-ce que les maladies et les épidémies, frappant les pays les plus pauvres, ne démontrent pas ce qui se passe quand on laisse les pays pauvres développer des chiffres de population qui ne correspondent pas aux capacités de les nourrir, de les vêtir, de les loger et de les soigner ?
MARX :
Notre débat oppose en fait les intérêts de deux classes et nous sommes tous deux ceux qui expriment de la manière la plus radicale et la plus crue les intérêts d’un côté, le votre, des exploiteurs et de l’autre, le mien, celui des exploités.
Je vous rappellerai que vous écriviez à une époque où était en débat la « loi des pauvres » qui interdisait la charité publique à l’égard des mendiants, puis leur imposait d’être enfermés dans des prisons de travail forcé, les workhouse, abandonnant ainsi femme et enfants et livrant ceux-ci également au travail forcé ou à la misère, la maladie ou la mort, les pauvres étant accusés d’avoir trop procréé et d’en subir ainsi les conséquences. Et c’est dans ces circonstances là que vous avez écrit, justifiant ces attaques violentes contre les plus démunis et non pas cherchant à résoudre le problème de la misère, du chômage et des sacrifices pour les populations les plus pauvres !
Voilà ce que vous écriviez alors :
« Je dis que le pouvoir multiplicateur de la population est infiniment plus grand que le pouvoir qu’à la terre de produire la subsistance de l’homme. Si elle n’est pas freinée, la population s’accroît en progression géométrique. Les subsistances ne s’accroissent qu’en progression arithmétique… Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, s’il ne lui est pas possible d’obtenir de ses parents les subsistances qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a nul besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la moindre part de nourriture, et, en réalité, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert vacant pour lui ; elle lui ordonne de s’en aller, et elle ne tardera pas elle-même à mettre son ordre à exécution, s’il ne peut recourir à la compassion de quelques convives du banquet. Si ceux-ci se serrent pour lui faire place, d’autres intrus se présentent aussitôt, réclamant les mêmes faveurs. La nouvelle qu’il y a des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux postulants. L’ordre et l’harmonie du festin sont troublés, l’abondance qui régnait précédemment se change en disette, et la joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère et de la pénurie qui sévissent a dans toutes les parties de la salle, et par les clameurs importunes de ceux qui sont, à juste titre, furieux de ne pas trouver les aliments qu’on leur avait fait espérer. »
Vous affirmez donc qu’au banquet de la nature, il n’y a pas de couvert pour le pauvre, pour le chômeur, pour le salarié momentanément ou durablement sans emploi ! Et vous conseillez au plus riche, pour sa santé, pour sa sécurité, pour son bien-être, pour profiter tranquillement de toutes ses richesses, sans que des masses de pauvres puissent les lui contester, de se débarrasset tout simplement du surcroit de population, voilà votre discours Monsieur Malthus et je ne dis pas cela pour vous le reprocher.
En effet, vous représentez le discours le plus ouvert, le plus affiché, le moins caché ou hypocrite des profiteurs du monde bourgeois et, pour ma part, je souhaiterai représenter le discours le plus ouvert, le plus affiché, le moins caché du monde des exploités et des opprimés. La confrontation a donc tout son intérêt.
MALTHUS :
Qu’y aurait-il de fâcheux que de rappeler aux hommes libres quelle est la base de leur liberté, aux hommes ayant atteint un certain niveau d’aisance que ce n’est pas en faisant la charité aux pauvres qu’ils pourront durablement se prémunir des conséquences dangereuses de voir se développer une masse de miséreux à leurs portes ?
MARX :
Il convient de rappeler dans quel cadre historique vous interveniez. Il s’agissait d’une période où les polémiques battaient leur plein entre les adeptes de la charité aux pauvres et leurs adversaires, dont vous faisiez partie. Il était question alors de modifier l’ancienne loi des pauvres pour supprimer et même interdire toutes les aides aux pauvres et votre pamphlet a surtout servi à justifier cette suppression des soutiens aux plus démunis. Pour votre essai sur la population et sur les causes de la misère, les lois anglaises relatives aux pauvres aggravent la situation de ces derniers de deux manières. D’une part, imposer les riches au bénéfice des plus pauvres (comme le fait la loi élisabéthaine de 1601) conduirait à faire croître la population sans faire croître les subsistances. L’assistance encouragerait en effet les hommes à se marier et le revenu par tête serait réduit avec l’augmentation de la population. D’autre part, ceux qui ne reçoivent pas l’aide aux pauvres voient leur salaire réel se réduire en raison de l’augmentation du prix des subsistances. Ce qui augmenterait le nombre des assistés, puisque chaque paroisse était tenue de compléter le salaire inférieur à un minimum considéré comme absolu, en fonction du pain et de la taille de la famille (système de Speenhamland, du nom du district qui l’a initialement mis en place en 1796).
Il faut savoir d’où venait la loi des pauvres élisabéthaine. La Réforme, et la spoliation des biens d’église qui en fut la suite, vint donner une nouvelle et terrible impulsion à l’expropriation violente du peuple au XVI° siècle. L’Église catholique était à cette époque propriétaire féodale de la plus grande partie du sol anglais. La suppression des cloîtres, etc., en jeta les habitants dans le prolétariat. Les biens mêmes du clergé tombèrent entre les griffes des favoris royaux ou furent vendus à vil prix à des citadins, à des fermiers spéculateurs, qui commencèrent par chasser en masse les vieux tenanciers héréditaires. Le droit de propriété des pauvres gens sur une partie des dîmes ecclésiastiques fut tacitement confisqué. « Pauper ubique jacet » s’écriait la reine Élisabeth après avoir fait le tour de l’Angleterre. Dans la quarante-troisième année de son règne, on se voit enfin forcé de reconnaître le paupérisme comme institution nationale et d’établir la taxe des pauvres. Les auteurs de cette loi eurent honte d’en déclarer les motifs, et la publièrent sans aucun préambule, contre l’usage traditionnel. Sous Charles I°, le Parlement la déclara perpétuelle, et elle ne fut modifiée qu’en 1834. Alors, de ce qui leur avait été originellement accordé comme indemnité de l’expropriation subie, on fit aux pauvres un châtiment.
Au temps d’Élisabeth : quelques propriétaires fonciers et quelques riches fermiers de l’Angleterre méridionale se réunirent en conciliabule pour approfondir la loi sur les pauvres récemment promulguée. Puis ils résumèrent le résultat de leurs études communes dans in écrit, contenant dix questions raisonnées, qu’ils soumirent ensuite à l’avis d’un célèbre jurisconsulte d’alors, le sergent Snigge, élevé au rang de juge sous le règne de Jacques I°. En voici un extrait : « Neuvième question : Quelques-uns des riches fermiers de la paroisse ont projeté un plan fort sage au moyen duquel on peut éviter toute espèce de trouble dans l’exécution de la loi. Ils proposent de faire bâtir dans la paroisse une prison. Tout pauvre qui ne voudra pas s’y laisser enfermer se verra refuser l’assistance. On fera ensuite savoir dans les environs que, si quelque individu désire louer les pauvres de cette paroisse, il aura à remettre, à un terme fixé d’avance, des propositions cachetées indiquant le plus bas prix auquel il voudra nous en débarrasser. Les auteurs de ce plan supposent qu’il y a dans les comtés voisins des gens qui n’ont aucune envie de travailler, et qui sont sans fortune ou sans crédit pour se procurer soit ferme, soit vaisseau, afin de pouvoir vivre sans travail (so as to live without labour). Ces gens-là seraient tout disposés à faire à la paroisse des propositions très avantageuses. Si çà et là des pauvres venaient à mourir sous la garde du contractant, la faute en retomberait sur lui, la paroisse ayant rempli à l’égard de ces pauvres tous ses devoirs. Nous craignons pourtant que la loi dont il s’agit ne permette pas des mesures de prudence (prudendial measures) de ce genre. Mais il vous faut savoir que le reste des freeholders (francs tenanciers) de ce comté et des comtés voisins se joindra à nous pour engager leurs représentants à la Chambre des Communes à proposer une loi qui permette d’emprisonner les pauvres et de les contraindre au travail, afin que tout individu qui se refuse à l’emprisonnement perde son droit à l’assistance.. Ceci, nous l’espérons, va empêcher les misérables d’avoir besoin d’être assistés (will prevent persons in distress from wanting relief). »
Mais ces lois de pauvres ont fini par apparaître aux classes dirigeantes comme un poids excessif et comme un empêchement à mobiliser les pauvres comme main d’œuvre exploitable à souhait.
Une main-d’œuvre abondante et mobile était nécessaire à la constitution de la grande industrie que l’emploi du machinisme. Mais le besoin d’un personnel déplaçable au gré des vicissitudes industrielles se heurtait à l’antique Loi des Pauvres, à la fameuse loi d’Élisabeth complétée par le Settlement Act de 1662.
Votée en Angleterre, en 1834, cette nouvelle « loi des pauvres » ne voyait pas d’autre moyen de venir en aide aux pauvres que de les enfermer dans des « maisons de travail », où ils étaient soumis à un régime sévère. C’est pourquoi le peuple donna à ces maisons le nom de « bastilles ».
Opposé aux lois sur les pauvres, vous proposiez donc un plan pour les abolir graduellement. Les arguments que vous développiez alors trouvent encore aujourd’hui un certain écho chez les libéraux quand il s’agit de réduire le chômage. Les pauvres soumis à ces lois "tyranniques", qui réduisent les inégalités, sont incités à la paresse. Malthus considère "qu’il faut désavouer publiquement le prétendu droit des pauvres à être entretenus aux frais de la société", dans la ligne de l’apologue du banquet (présente dans la seule édition de 1803) : "Un homme qui est né dans un monde déjà occupé (…) n’a aucun droit de réclamer la moindre nourriture et, en réalité, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert disponible pour lui ; elle lui ordonne de s’en aller, et elle ne tardera pas elle-même à mettre son ordre à exécution."
La nouvelle Loi des Pauvres de 1834 consacre la liberté de la main-d’œuvre, liberté nécessaire à une grande industrie qui a besoin d’un personnel nombreux, capable de s’accroître à volonté et de se porter là où s’installent les fabriques. Mais cette loi n’est parvenue à ses fins qu’en rompant les liens qui attachent à leur paroisse les travailleurs pauvres et en portant atteinte à des habitudes traditionnelles d’assistance, chères aux classes laborieuses, qui trouvaient dans ces pratiques une assurance contre les vicissitudes économiques.
Cette incertitude de la vie ouvrière est accrue par le rythme même de la grande production. La grande industrie, qui produit par masses et par à-coups, amène les crises. L’instabilité du salaire et l’intermittence du travail détruisent périodiquement l’équilibre des budgets de la population ouvrière groupée autour des filatures et des ateliers mécaniques. Ce troisième facteur de misère, l’insécurité, se trouve exagéré par le concours des deux autres.
La crise des anciens petits métiers pousse ces artisans dépossédés à offrir leurs bras à la grande industrie. L’effet immédiat de la Loi des Pauvres est de provoquer vers les villes industrielles l’exode des travailleurs ruraux qui ne se résignent pas à entrer au workhouse. La grande industrie s’était établie dans les comtés du Nord-Ouest où se trouvaient réunies les conditions les plus favorables à l’installation des fabriques et à l’écoulement des produits. Elle avait concentré autour des villes industrielles des populations dispersées et appelé à elle les ruraux des comtés du Sud-Est. Or l’Act de 1662, « la loi du domicile », était contraire à cette concentration et à ce déplacement. Ses prescriptions fixaient à leurs paroisses les travailleurs pauvres, les indigents valides. Le système traditionnel d’assistance était considéré par la population laborieuse comme la juste compensation due par les heureux de ce monde à l’infortune des malheureux, comme le prix de la résignation sociale.
Le jour où ce système devient un obstacle au recrutement de la grande industrie, il est condamné. Le Poor Law Amendment Act de 1834 transforme l’assistance, qui, de paroissiale, devient régionale ; les paroisses sont groupées en unions ayant chacune son workhouse, et, au-dessus de toutes les unions, trois commissaires forment un conseil central, « le Monstre à trois têtes », pourvu d’un droit de réglementation et de contrôle très étendu. La nouvelle loi interdit les secours à domicile et en argent donnés aux indigents valides, qui doivent tous désormais subir la discipline du workhouse.
La réaction provoquée contre la nouvelle loi n’est pas seulement sentimentale. La loi de 1834 facilite l’exode de la population des comtés ruraux vers les villes de fabriques, et, par suite, la concurrence que font au prolétariat industriel ces nouveaux venus, entraînant par leur présence des salaires plus bas et plus instables.
Le Bill de 1832 installe au pouvoir la bourgeoisie ; celle-ci s’en sert aussitôt pour édicter une législation de classe. La loi de 1834 est la première grande mesure adoptée par la nouvelle Chambre en faveur des industriels. La nouvelle loi fournissait aux « Lords du coton et de la boutique », dont les représentants étaient les maîtres au Parlement, une main-d’œuvre à bon marché, une main-d’œuvre soumise, puisque les indigents pauvres préféraient n’importe quel salaire à l’entrée dans les Bastilles des Pauvres.
La nouvelle Loi des Pauvres blesse profondément les masses ouvrières. La concurrence dépressive des émigrés ruraux est considérée comme l’effet de la seule loi de 1834 ; l’organisation des workhouses froisse les sentiments populaires : les indigents valides y sont astreints à un régime de prison, séparés de leur femme et de leurs enfants.
Dès les débuts du mouvement ouvrier, les réformateurs expriment les colères violentes que soulève la nouvelle loi. Sur ce point, ils voient se joindre à eux des conservateurs sociaux que leur indignation contre la nouvelle loi rapproche des Chartistes. Les torys Richard Oastler et Stephens sont les interprètes passionnés de l’émotion provoquée par la Loi des Pauvres.
Conservateurs sociaux comme démocrates, radicaux et socialistes, entreprennent contre la loi une campagne ardente. Dans une lettre à Fielden, James Turner dénonce les mobiles de la loi :
« Si la population du Nord supporte seulement l’introduction de ce système infernal, il sera impossible d’empêcher les salaires de baisser. Les ouvriers, vivant sous ce système, n’auront d’autre alternative que d’accepter le salaire offert par les employeurs Un très respectable tanneur me disait qu’il se faisait fort, si sa conscience le lui permettait, de faire exécuter son ouvrage pour 6 shillings par semaine. » La dépression des salaires, voilà la raison d’être cachée pour laquelle les capitalistes industriels, maîtres du Parlement, ont fait voter la loi de 1834.
La loi de 1834 a pour but de procurer aux industriels de la main d’œuvre à bon marché, en créant par la venue des indigents valides sur le marché du travail une concurrence artificielle qui déprime les salaires. La loi est injuste dans son principe parce qu’elle porte atteinte à un droit traditionnel. Oastler, Stephens, Fielden, les leaders chartistes et les ouvriers sont d’accord sur ce point : l’assistance est un droit. Les riches sont les gardiens de ce droit des pauvres ; en supprimant l’ancien système d’assistance ils ont commis un abus de confiance. Au meeting de Rochdale, dont rend compte la Northern Star, Oastler dira :
« Les pauvres auxquels on enlève leurs droits légaux et constitutionnels auront le droit de dire aux Landlords : vous n’aurez plus de rentes. La seule façon dont vous, les riches, vous pouvez faire respecter vos droits, est de prendre la défense des droits des pauvres. Si vous désirez que votre serviteur vous aide à défendre votre propriété, prouvez que vous êtes prêts à défendre son travail. » Le droit à l’assistance est une assurance contractée par les riches cette sécurité donnée aux pauvres garantit aux riches le respect de leur propriété. Mais, si ceux-ci rompent ce pacte de paix sociale, les pauvres reprennent leur droit à la révolte.
MALTHUS :
Une des objections faite à mon essai, et que vous reprenez, est tirée de ce que je nie que les pauvres aient droit d’être entretenus par le public. Ceux qui font cette objection sont tenus de prouver que le rapport de la population et des subsistances est faux ; car s’il est vrai, l’assertion qu’ils attaquent est incontestable. Il s’ensuit que si chacun se marie dès que son goût l’y porte, tout le travail de l’homme ne peut nourrir tout ce qui naît. D’où il suit inévitablement que le droit d’être nourri ne peut appartenir à tous. Ceux qui soutiennent que ce droit existe, et qui cependant vont en voiture, vivent dans l’abondance, nourrissent même des chevaux sur un sol qui pourrait nourrir des hommes, me semblent mal d’accord avec leurs propres principes. Si je suis fermement convaincu que les lois de la nature, c’est-à-dire, les lois de Dieu, ne me donnent aucun droit à l’assistance, je me sentirai d’abord fortement tenu de mener une vie frugale et laborieuse. Mais si, malgré toute ma prudence, j’étais en proie au besoin, j’envisagerais ce malheur du même œil dont on envisage la maladie, comme une épreuve qu’il est de mon devoir de supporter avec courage et résignation. Tous mes raisonnements et tous les faits que j’ai recueillis prouvent que, pour améliorer le sort des pauvres, il faut que le nombre proportionnel des naissances diminue. Il suffit d’améliorer les principes de l’administration civile et de répandre sur tous les individus les bienfaits de l’éducation. A la suite de ces opérations, on peut se tenir pour assuré qu’on verra une diminution des naissances. Si on pouvait dans les écoles joindre aux divers objets d’enseignement quelques-uns des principes les plus simples de l’économie politique, il en résulterait pour la société un avantage infini ; ainsi de mettre à la portée du peuple les principes sur lesquels se règlent les prix d’achat et de vente.
Le peuple doit s’envisager comme étant lui-même la cause principale de ses souffrances. Je suis persuadé qu’une connaissance pleine de la principale cause de la pauvreté est le moyen le plus sûr d’établir sur de solides fondements une liberté sage et raisonnable. Si nous négligeons de donner attention à nos premiers intérêts, c’est le comble de la folie et de la déraison d’attendre que le gouvernement en prendra soin. La multitude qui fait les émeutes est le produit d’une population excédante. Cette multitude égarée est un ennemi redoutable de la liberté, qui fomente la tyrannie ou la fait naître. Si les mécontentements politiques se trouvaient mêlés aux cris de la faim, il faudrait s’attendre à de perpétuels changements, à des scènes de sang sans cesse renouvelées, à des excès de tout genre qui ne pourraient être contenus que par le despotisme absolu.
Avec le prétendu droit d’être nourri lorsque son travail ne peut pas lui en procurer les moyens, les lois anglaises s’élèvent contre les lois de la nature. Le nombre des ouvriers étant accru dans une proportion plus forte que la quantité d’ouvrage à faire, le prix du travail ne peut manquer de tomber ; et le prix des subsistances haussera en même temps. Pendant cette période de détresse, les embarras que cause une famille sont tellement accrus, que la population s’arrête et devient stationnaire. En même temps le bas prix du travail encourage les cultivateurs à employer sur la terre une quantité de travail plus grande qu’auparavant ; à défricher des terres incultes ; à fumer et améliorer avec plus de soin celles qui sont en culture ; jusqu’enfin les moyens de subsistance arrivent à une situation où l’obstacle mis à la population vient à cesser nouveau. Les mêmes marches rétrogrades et progressives ne manqueront pas de se répéter. Une des raisons pour lesquelles on n’a pas beaucoup remarqué ces oscillations, c’est que les historiens ne s’occupent guère que des classes les plus élevées de la société. On peut dire que la science statistique est encore dans l’enfance.
En Angleterre, les lois sur les pauvres tendent manifestement à accroître la population sans rien ajouter aux moyens de subsistance. Un homme peut se marier avec peu ou point de moyens de soutenir une famille, parce qu’il compte sur les secours de sa paroisse. Ainsi les lois y créent les pauvres qu’elles assistent. Il faut donc que les subsistances se répartissent en portions moindres. D’où il arrive que le travail de ceux qui ne sont point assistés achète une moindre quantité d’aliments qu’auparavant. Et, par une conséquence inévitable, le nombre de ceux qui ont recours à l’assistance doit augmenter sans cesse. Les lois sur les pauvres, telles qu’elles existent en Angleterre, ont contribué à élever le prix des subsistances, et à abaisser le prix réel du travail. Elles ont donc contribué à appauvrir la classe du peuple qui ne vit que de son travail. Il est bien probable d’ailleurs qu’elles ont contribué à faire perdre aux pauvres les vertus de l’ordre et de la frugalité. Les lois sur les pauvres ont été incontestablement établies dans des vues pleines de bienveillance. Mais il est évident qu’elles n’ont point atteint leur but. Je suis persuadé que si ces lois n’avaient jamais existé en Angleterre, la somme totale du bonheur eût été plus grande chez le peuple qu’elle ne l’est à présent.
Cher Monsieur Marx, je ne me propose pas simplement de réduire les naissances par une contrainte morale, une chasteté dictée par le raisonnement et l’ascétisme, ou même de comprimer à n’importe quel prix la population. Pour moi, la population peut demeurer constante, voire croître lentement, en ayant toujours des produits en suffisance. Sa proposition en vue de réaliser cet équilibre, source de progrès pour l’humanité, est toute moderne : établir une structure appropriée des prix, assortie d’une véritable politique des revenus. Ma solution est limpide : d’une part, il faut rendre difficile l’accès aux produits qui répondent aux besoins alimentaires, car les masses auraient tendance à proliférer si elles trouvaient trop facilement de quoi se nourrir — autrement dit, il faut que la classe laborieuse souffre de privations, grâce au prix élevé des denrées alimentaires — et, d’autre part, il faut rendre meilleur marché et donc d’un accès facile les articles de luxe pour… absorber la surproduction du capital. Peut-on exprimer avec plus de cynisme l’intérêt des classes dominantes qui entendent jouir aussi de l’oppression par un simple leu économique : renchérir au maximum pour ceux qui travaillent les moyens de subsistance (y inclus le loyer), afin d’élever le plus possible la rente qui frappe tous les produits de la terre et est monopolisée par les propriétaires fonciers, et rendre le moins cher possible les produits de luxe, fabriqués par les manufactures, dont profitent surtout les parasites ? Il ne s’agit pas là d’une idée en l’air ou d’une hypothèse.
MARX :
Votre « solution » est tellement miraculeuse que le capitalisme ne l’a pas attendue pour fonctionner spontanément ainsi ! C’est tout bonnement le cours déterminé de l’économie du capitalisme qui réalise vos vœux sur l’évolution des prix et des revenus… Toute la production (et son accroissement, surtout) ne fonctionne désormais que grâce au renchérissement des moyens de subsistance auquel correspond un prix des articles de luxe inversement proportionnel à la masse croissante des produits.
MALTHUS :
Là encore, vous effacez une partie de ma démonstration. Je ne me contente pas de réduire les possibilités d’accès aux moyens de subsistance afin de réguler la population et sa consommation : me plaçant au niveau de la circulation, là où s’effectue la répartition et où les classes dominantes et leurs appendices écrèment largement les revenus produits par les autres, je met en relation l’indice du revenu national avec celui du revenu individuel.
MARX :
Parfaitement clair ! La population est ainsi subordonnée à l’économie et n’est plus un principe naturel autonome. Elle sert, dans la mesure où elle est utile à la richesse, à la production qui est la fin en soi de la bourgeoisie industrielle, et aux biens immobiliers ou patrimoine qui est celle de la noblesse terrienne. Pour moi, la production sociale doit être au service de la population humaine et lui être subordonnée, ce qui n’est possible qu’après l’élimination du mercantilisme tant de la force de travail que des moyens et produits du travail. C’est seulement de ce point de vue que l’on peut se rendre compte de l’absurdité de la moderne alternative, tout à fait malthusienne, de l’économie bourgeoise : l’exaltation sans limite de la production et la conséquence stupide qu’en tirent les économistes bourgeois, la réduction de la population.
Mais votre travail avait un but qu’il faut encore souligner : combattre le socialisme en défendant la nécessité des classes sociales, et particulièrement d’une classe aisée qui n’aurait nullement à se préoccuper des pauvres et des exploités, et ce n’est pas un hasard si l’un des derniers chapitres de votre essai s’intitule « Les systèmes d’égalité », chapitre dans le quel vous prétendez démontrer, toujours grâce à votre loi de population et à la menace considérable qu’elle ferait peser sur la civilisation, que tous les systèmes sociaux ou socialistes dits d’égalité seraient impossibles ou catastrophiques. Vous prétendez ainsi en finir aussi bien avec les socialismes par la philanthropie qu’avec les socialismes bien plus révolutionnaires.Vous écriviez ainsi :
« En observant, comme nous venons de le faire, la situation du genre humain dans le passé et dans le présent, on est surpris de voir que les auteurs qui ont traité des moyens de perfectionnement de l’homme ou de la société, et qui ont pris en considération le principe de population, ne lui ont accordé qu’une attention légère et ont minimisé les maux qu’il provoque, tout comme s’ils se situaient dans un temps très lointain. Si cet état de choses était réel, et si une égalité parfaite pouvait être réalisée entre les hommes, je ne pense pas que la perspective de difficultés aussi éloignées doive refroidir notre zèle à réaliser un plan si utile ; on pourrait dans ce cas laisser à la Providence le soin de trouver un remède à des malheurs si éloignés de nous. Mais si tout ce que nous venons de dire est réel, le danger est au contraire prochain, imminent. A toutes les époques, tant que la culture fait ou fera des progrès, à partir du moment présent jusqu’à l’heure où la terre sera changée en un vaste jardin, et en supposant même qu’une rigoureuse égalité soit établie, le manque de nourriture ne cessera pas de se manifester parmi les hommes. C’est en vain que chaque année les produits du sol iraient en augmentant : la population s’accroîtrait selon une progression plus rapide encore, et il faudrait bien que l’excès de population soit freiné par l’action constante ou périodique de la contrainte morale, du vice ou du malheur. »
MALTHUS :
Merci de me citer ainsi longuement. Je détruisais effectivement des thèses comme celle de Monsieur Godwin qui affirmait qu’une société fondée sur le progrès et la raison ne nécessiterait plus la division en classes sociales, en riches et pauvres. Je vais me permettre aussi de me citer moi-même assez longuement, puisqu’effectivement, il s’agit de détruire définitivement toutes les pernicieuses idéologies socialistes ou socialisantes :
« M. Godwin, lui, préconise un système d’égalité qui paraît, au premier coup d’œil, le plus séduisant qu’on ait jamais envisagé. Une amélioration de la société basée sur la raison promet d’être plus stable que tout ce qu’on pourrait obtenir par la force. L’appel sans limites à la Raison individuelle est une doctrine grandiose et exceptionnelle, qui l’emporte de beaucoup sur celles qui mettent l’individu au service de la collectivité. Le principe qui consiste à faire appel à la bonne volonté comme moteur principal des institutions sociales, au lieu de l’égoïsme, semble au premier aspect un perfectionnement très désirable. En un mot, il est impossible de contempler l’ensemble de ce magnifique tableau sans être rempli d’admiration et de plaisir et sans désirer le voir se réaliser. Mais, hélas ! il ne se réalisera pas, car toutes ces visions de bonheur ne peuvent être considérées que comme un rêve, un phantasme de l’imagination ! Ce séjour de félicité et d’immortalité, ces temples de vérité et de vertu, se dissolvent comme des mirages quand nous ouvrons les yeux sur la vie réelle et que nous contemplons la vraie situation de l’homme sur la terre. Car le principe que M. Godwin nous présente comme une force occulte et mystérieuse, sans en rechercher la nature, n’est autre que la dure loi « nécessité-misère », et la crainte de cette misère. La grande erreur de M. Godwin, celle qui domine tout son ouvrage, est d’attribuer aux institutions humaines tous les vices et toutes les calamités qui pèsent sur la société. Les lois politiques et le statut de la propriété lui paraissent être les sources de tous les maux et de tous les crimes qui accablent l’humanité. S’il en était ainsi, chercher à bannir le malheur de notre monde n’apparaîtrait pas comme une entreprise désespérée : la Raison serait en effet l’instrument grâce auquel on pourrait espérer réaliser une aussi heureuse réforme. Mais les maux, dont certains ne sont que trop réels, causés par les institutions humaines peuvent être considérés comme légers et superficiels, en comparaison des malheurs beaucoup plus graves qui proviennent des lois de la nature et des passions des hommes. L’homme ne peut pas vivre au sein de l’abondance, et il est impossible que tous partagent également les bienfaits de la nature. Si l’on n’avait pas établi des lois sur la propriété, chacun serait obligé de garder par la force son petit lopin. L’égoïsme dominerait et les sujets de dispute se renouvelleraient sans cesse. Les individus vivraient dans une constante anxiété quant à leur corps, et l’on n’en trouverait pas un seul pour ouvrir librement son esprit au domaine de la pensée. J’ai déjà montré l’erreur de ceux qui prétendent qu’une population trop nombreuse ne peut causer ni misère ni détresse, tant que la terre donnera des produits toujours plus abondants. Mais supposons, avec M. Godwin, que son système d’égalité soit pleinement réalisé, et voyons si la difficulté qu’il prétend écarter ne se fera pas sentir dans une forme de société aussi parfaite que celle qu’il préconise. Supposons qu’on ait réussi à supprimer toutes les causes de vice et de misère en Grande-Bretagne. La guerre et les querelles intestines ont pris fin ; plus d’usines ni de travaux malsains ; les hommes ne s’entassent plus dans des villes pestilentielles pour se livrer à l’intrigue, au commerce et aux plaisirs illicites. Des amusements simples, sains et raisonnables ont remplacé le vin, le jeu et la débauche. Les villes sont suffisamment spacieuses pour n’avoir aucun effet préjudiciable sur la santé des habitants. Le plus grand nombre de ceux qui vivent dans ce paradis terrestre, habitent des villages et des fermes dispersés dans tout le pays. Tous les hommes sont égaux. Les travaux de luxe ont cessé, ceux de l’agriculture sont répartis entre tous de façon équitable. Nous supposerons aussi que le nombre des habitants et la quantité des produits sont les mêmes qu’à présent. L’esprit de bienveillance, guidé par plus de justice impartiale, fait que les moyens de subsistance sont répartis entre tous les membres de la société en fonction des besoins propres de chacun. M. Godwin considère le mariage comme une fraude et un monopole : nous supposerons donc le commerce entre les sexes établi selon le principe de la plus entière liberté. M. Godwin ne croit pas que cette liberté conduise à la promiscuité, et à cet égard je pense entièrement comme lui. Le désir de changement est un goût vicieux, dépravé, contraire à la nature, qui ne saurait s’instaurer dans une société simple et vertueuse. Chaque homme choisirait sans doute une compagne, et ils resteraient ensemble aussi longtemps qu’ils se plairaient mutuellement. Il importerait peu, selon M. Godwin, de savoir combien d’enfants aurait une femme, et à qui ils appartiendraient. Substances et secours viendraient d’eux-mêmes du lieu où ils abondent vers le lieu où le besoin s’en fait sentir. Et tout homme serait prêt, selon ses capacités, à transmettre son savoir à la génération naissante. Je ne puis imaginer une forme de société plus favorable à l’accroissement de la population. L’indissolubilité du mariage, telle qu’elle est actuellement établie, détourne sans aucun doute bien des personnes de s’engager dans ses liens. Un commerce sans contrainte entre les sexes n’inspirerait pas les mêmes craintes et engagerait aux liaisons précoces. Et comme nous avons supposé qu’on serait sans inquiétude en ce qui concerne l’entretien des enfants, je pense qu’il n’y aurait pas une femme sur cent qui à l’âge de vingt-trois ans ne fût devenue mère de famille. De pareils encouragements donnés à la population, s’ajoutant à la suppression des grandes causes de dépopulation, feraient augmenter le nombre des habitants avec une rapidité sans exemple. »
MARX :
Et, comme par hasard, juste après ce chapitre pour combattre toute aide aux plus démunis, tout système social de bienfaisance, toute assistance aux sans toits, sans logis, sans emploi, toute aide aux chômeurs, à la santé ou à l’éducation et, surtout, toute aide en matière de subsistance à ceux qui, de manière conjoncturelle ou permanente, manquent de tout, vous en arrivez au chapitre crucial, politiquement et socialement, à l’époque intitulé « Les lois des pauvres ». Car le succès de votre ouvrage auprès des classes dirigeantes, et qui a fait que les penseurs de ces mêmes classes dirigeantes vous aient soutenu fermement, c’est que vous interférez dans le débat politique et social de l’époque, à savoir dans celui sur les lois des pauvres justement. Il était alors indispensable au fonctionnement capitaliste d’empêcher les pauvres de continuer à recevoir des maigres subsides de la charité et de leur imposer ainsi d’accepter de devenir le prolétariat industriel. Or, dans une population essentiellement rurale, ayant toujours vécu en travaillant de manière quasi indépendante, en conservant une grande part de liberté personnelle, s’enfermer dans les manufactures nouvelles représentait le cas d’un prisonnier qui se serait enfermé lui-même. Tant que tous les autres moyens de subsistance n’auraient pas été taris, cette population misérable ne risquait pas de s’agglomérer, avec femme et famille, dans les villes puantes et de se livrer corps et âme au travail industriel destructeur, en condamnant du même coup femme et enfants à devenir eux aussi la proie du monstre industriel et du capital.
Votre intervention contre les anciennes lois des pauvres va donc être reçue et agréée par les classes dirigeantes qui ont absolument besoin de travailleurs libres, au sens de coupés de tout, de tout droit, de toute aide, de tout subside, de toute propriété et de tout espoir d’assistance.
Et vous avez donc pris comme prétexte votre loi de population qui prouverait que l’aide aux démunis entraînerait un danger mortel rapide, celui d’être débordé par la masse des pauvres, pour affirmer que le moyen d’y pallier consiste à supprimer les aides matérielles au pauvre au lieu de les augmenter… Voilà tout le but politique et social de votre raisonnement, monsieur Malthus. Mais, encore une fois, loin de moi l’objectif de vous en faire grief sur le terrain moral. Je tiens seulement à souligner le caractère de classe de votre propos, combien vous défendez assidument les classes dirigeantes et combien elles vous en sont reconnaissantes. Car vous leur donnez un soi-disant appui scientifique pour démontrer que l’intérêt du genre humain serait au maintien des divisions de classe, au maintien de la richesse des plus riches, à l’exploitation des plus pauvres et même au maintien d’un niveau important de manque de subsistance de ces derniers, dans l’intérêt général du système social. Un discours clair, de classe, de défense des exploiteurs, que tous les exploités doivent connaitre car, loin d’être passé de mode en 2014, il ressert sous des formes diverses les classes dirigeantes capitalistes qui prétendent défendre l’intérêt général en produisant la décroissance, la croissance zéro, l’austérité, les sacrifices. On nous dit qu’il faut défendre la Terre, que les revendications des pauvres nuisent à la planète, qu’il faut réduire les naissances, qu’il faut diminuer la consommation des peuples, etc. Et que tout cela se ferait soi-disant dans l’intérêt de l’humanité, que cela ne serait pas dû au système social capitaliste ni aux limites que ce dernier engendre mais à des lois qui dépassent le système et qui seraient générales, des lois qui empêcheraient la terre de pouvoir subvenir à une consommation débridée.
Il importait donc de savoir qu’à l’époque déjà vos raisonnements pernicieux avaient servi à justifier de jeter dans une misère atroce des millions d’hommes, de femmes et d’enfants.
Votre essai, monsieur Malthus, qui est sans doute la plus brutale déclaration de guerre de la bourgeoisie au prolétariat, ne doit pas susciter la réprobation mais, au contraire, une plus grande intelligence du prolétariat de la signification et des buts de ce système d’exploitation dans lequel le prolétaire est censé se croire libre tour en étant contraint à s’enchaîner lui-même.
MALTHUS :
Vous omettez bien entendu la misère, la violence, les catastrophes qu’aurait produit une autre politique, servant à faire croire à ces démunis qu’ils pouvaient procréer sans limite et que la société allait les entretenir sans cesse avec des aides publiques comme privées. Vous oubliez que cela aurait produit une telle masse de miséreux que les souffrances que ceux-ci ont subi ne seraient rien devant celles qui auraient eu lieu. Vous oubliez l’effet qu’aurait eu un chômage de masse sans limite sur toute la population, y compris celle qui disposait d’un travail garanti et d’un revenu correct, permettant au moins de se loger et de se nourrir à suffisance. Vous oubliez toutes les famines, les épidémies, les guerres, les guerres civiles, les souffrances de toutes sortes qu’aurait engendré une autre politique. Vous oubliez également que, malgré ces politiques contre la charité et le socialisme, les gouvernements n’ont jamais osé porter jusqu’au bout mes propositions, si bien que le chômage est revenu de manière cyclique, qu’une population en surcroit a sans cesse été à nouveau produite, résultat des lois de population que vous critiquez tellement fort et prétendez même supprimer comme une libre invention de ma part… Vous oubliez que tous les peuples de la Terre se posent actuellement la question que je posais : ne sommes-nous pas trop nombreux autour de la table pour y goûter agréablement des mets qui y sont disposés ? Et nombre d’auteurs affirment que le capitalisme a atteint ses limites, non pas ses limites sociales en tant que système, mais ses limites de croissance, qu’il faudrait qu’il se développe mieux mais moins, plus en qualité qu’en quantité, et ce dans l’intérêt même des populations. Les écologistes ou les décroissants ne sont plus les seuls à développer de telles idées. Des grands groupes de scientifiques abordent ces questions, liées notamment à celles du réchauffement climatique, du développement durable. Qu’avais-je expliqué sinon la nécessité, pour un développement durable, de limiter la croissance de la production, de la consommation et la croissance de la population ? Rien de plus actuel, il me semble, n’en déplaise aux fanatiques des raisonnements marxistes qui se contentent de suivre le capitalisme dans ses tendance à la croissance sans frein !
D’ailleurs, j’attends toujours vos démonstrations selon lesquelles mes lois de population, appliquées par Darwin à la lutte pour la vie, entre les espèces ne s’appliqueraient pas à l’espèce humaine !
MARX :
Eh bien, tout d’abord, remarquons que votre loi de croissance des subsistance, que vous avez affirmée être une loi simplement arithmétique, c’est-à-dire additive, ne correspond nullement au bond en avant de la production de subsistances qui s’est produit sous le capitalisme, et cela malgré les destructions massives causées par les crises économiques, les guerres et autres méfaits liés au système. Ce n’est que du fait des limites du capitalisme que l’humanité actuelle ne parvient pas toujours à subvenir à ses besoins. Mais elle parvient aujourd’hui à nourrir un nombre bien plus considérable qu’à nos époques et cela suffi à détruire les limites absolues que vous prétendiez que la société allait devoir heurter à court terme. Cela démontre que l’intervention humaine ne se contente pas d’exploiter la terre, en l’épuisant rapidement, et qu’elle produit des capacités nouvelles, bien sûr tirées des potentialités de la nature, mais de potentialités qui ne se seraient pas exprimées sans l’intelligence, l’organisation et la science humaines.
Loin d’être la clef de l’énigme de la misère et de toutes les catastrophes, guerres, famines et épidémies, l’existence de population en grand nombre au cours de l’histoire et agglomérées ainsi est à la source des grandes civilisations, des énormes avancées de l’humanité, des villages, des villes, des développements nouveaux, d’une nouvelle division du travail, des perfectionnements innombrables qu’elle a entraîné et notamment la construction de plusieurs système de production différents fondés sur des modes de propriété nouveaux, avec, du coup, des capacités nouvelles de l’homme et la capacité notamment de nourrir un nombre bien plus considérable d’êtres humains.
Ensuite, vous tirez argument de la croissance animale et végétale qui, selon vous, serait illimitée sans contrainte extérieure, ce qui vous conduit à proposer à la société d’établir la pénurie de biens de consommation comme contrainte à cette croissance. Et vous prétendez vous appuyer sur les raisonnements de Darwin pour étayer les vôtres.
Ça, au moins, c’est drôle. L’anticlérical Darwin, qui visait à détruire la conception anglicane de la nature, création parfaite de dieu, et qui voulait même combattre toute idée d’un dieu, irait apporter de l’eau au moulin du curé anglican Malthus, affirmant que l’homme est sur terre pour y souffrir et que les inégalités ont été voulues par le créateur ?
Certes, la thèse de Darwin affirme qu’il existe une « lutte pour l’existence » qui provient du fait que les êtres vivants sont produits en grand nombre et qu’une très grande partie d’entre eux sont détruits en cours de route. Mais Darwin n’affirme pas seulement cela. Il explique aussi que le plus grand nombre des espèces (et pas seulement des individus) sont également détruits au cours de cettte lutte. Donc la logique de votre raisonnement, monsieur Malthus, puisque vous suivez Darwin, serait d’affirmer que le plus grand nombre des structures fondées par les êtres humains, les modes de production, les structures sociales, sont condamnées elles aussi à disparaître ! Mais non, vade retro satanas, vous ne direz jamais cela car, contrairement à Darwin, votre raisonnement sur la « lutte pour l’existence » ne vous empêche pas de trouver une espèce très supérieure à sauver absolument : celle des riches bourgeois et profiteurs de votre espèce. Votre soutien à la « lutte pour l’existence des espèces » ne vous amène nullement à soutenir également, sur le terrain de la société humaine, la lutte des classes ou, plus exactement, vous êtes un ferme partisan de la lutte de la classe exploiteuse et vos travaux en font foi.
Vos thèses, monsieur Malthus, sont une défense claire et nette des droits des classes exploiteuses : Ainsi, vous affirmez dans votre essai que c’est la nature qui veut que les classes exploitées en restent à leur misère initiale :
« Les classes inférieures en Europe auront éventuellement dans l’avenir un niveau d’instruction bien supérieur à celui d’aujourd’hui, elles auront peut être appris à occuper leur peu de temps libre mieux qu’en fréquentations de tavernes, elles pourraient bénéficier d’une législation meilleur et plus équitable que jamais auparavant… Cependant, il n’est pas dans la nature des choses de pouvoir leur accorder une quantité d’argent ou de vivres telle qu’elle leur permette à tous un mariage précoce assorti de la garantie de pouvoir subvenir aisément aux charges d’une famille nombreuse. »
Par contre, il va de soi que c’était dans la nature des choses de permettre à la classe aisée de vivre dans le luxe, de détenir bien au-delà du strict nécessaire, etc…
Les classes exploiteuses estimeront toujours qu’elles ont un fondement scientifique à imposer la misère aux chômeurs, aux travailleurs et aux peuples. Elles trouveront pour cela l’appui des éléments éclairés de la bourgeoisie, tels que vous. Il n’y aura donc d’autre solution pour les exploités que d’en finir avec le système d’exploitation lui-même. Et je vous remercie, monsieur Malthus, de m’avoir donné l’occasion d’en faire la démonstration…
2 Messages de forum
• Malthus contre Marx, le face à face…21 décembre 2014 07:05
Malthus :
« Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille n’a pas le moyen de le nourrir, ou si la société n’a pas besoin de son travail, cet homme, dis-je, n’a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture : il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature il n’y a point de couvert mis pour lui. La nature lui commande de s’en aller, et ne tardera pas à mettre elle-même cet ordre à exécution. »

• Malthus contre Marx, le face à face…23 mars 2015 13:53
Cependant la plus brutale déclaration de guerre de la bourgeoisie au prolétariat c’est la Théorie malthusienne de la population et la nouvelle loi sur les pauvres qui s’en inspire directement. Il a déjà été plusieurs fois question de la théorie de Malthus. Résumons une fois de plus sa conclusion essentielle : la terre est constamment surpeuplée, et par conséquent, il est fatal que règnent la misère, la détresse, la pauvreté et l’immoralité ; c’est le sort de l’huma¬nité et sa destination éternelle que d’exister en trop grand nombre et par conséquent d’être divisée en différentes classes, dont les unes sont selon lui plus ou moins riches, cultivées, morales, et les autres plus ou moins pauvres, misérables, ignorantes et immorales. D’où il s’ensuit, du point de vue pratique - et ces conclusions c’est Malthus lui-même qui les tire - que la bienfaisance et les caisses de secours ne sont que des non-sens puisqu’elles ne servent qu’à maintenir en vie et faire se multiplier la population surnuméraire dont la concurrence pèse sur le salaire de l’autre fraction de la population, qu’il est tout aussi absurde de la part de l’administration de l’Assistance de donner du travail aux pauvres car - puisque seule une quantité déterminée de produits fabriqués peut être consommée - chaque ouvrier en chômage qu’on occupe met au chômage un ouvrier jusqu’alors occupé et ainsi l’industrie privée subit un préjudice du fait de l’industrie de l’Assistance publique ; la question n’est donc point de nourrir la population surnuméraire mais de la limiter autant que possible d’une manière ou d’une autre. En quelques formules sèches Malthus déclare que le droit à l’existence, jusqu’alors reconnu à chaque homme qu’il y a au monde, est un pur non-sens. Il cite les paro¬les d’un poète : le pauvre vient à la table de la Nature parée pour le festin et ne trouve point de couvert mis pour lui - et il ajoute - et la Nature lui ordonne de filer (she bids him to be gone) « car il n’a pas demandé à la société avant de naître, si elle voulait de lui [d] . » Cette théorie est maintenant la théorie préférée de tout bourgeois [e] anglais authentique et c’est bien naturel, car elle représente pour lui le lit de paresse le plus agréable et aussi parce qu’elle contient beaucoup de vrai dans les conditions actuelles. Si donc il ne s’agit plus d’exploiter la « population surnuméraire », de la transformer en population utilisable, mais simplement de laisser les gens mourir de faim le plus douce¬ment possible et de les empêcher en même temps de mettre trop d’enfants au monde, c’est une bagatelle - à supposer que la population excédentaire prenne conscience de sa pro¬pre superfluité et trouve quelque goût à mourir de faim. Mais en dépit des efforts les plus tenaces de la bourgeoisie humanitaire pour inculquer ces vérités aux ouvriers, il ne semble pas qu’elle ait actuellement quelque chance de succès. Les prolétaires se sont au contraire mis en tête, que c’étaient eux, avec leurs mains laborieuses, qui étaient précisément indispensa¬bles, et que c’étaient ces Messieurs les riches capitalistes, qui ne font rien, qui étaient à vrai dire les superflus.
Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre

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