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Déterminisme

déterminisme
1 PRÉSENTATION
déterminisme, notion qui recouvre à la fois la connaissance de l’ensemble des conditions nécessaires pour qu’un phénomène se produise et la doctrine selon laquelle tous les phénomènes dépendent les uns des autres au point que, s’il était possible de connaître intégralement l’état de l’Univers à un moment donné, il serait possible de prévoir précisément tous ses états futurs.
Les implications de cette notion sont d’ordre scientifique, d’une part, métaphysique et psychologique, d’autre part. La science doit examiner ses propres pratiques pour savoir si elle part des hypothèses déterministes et, si c’est le cas, quel type de déterminisme elle adopte ou peut adopter, compte tenu des « relations d’incertitude » établies par le physicien allemand Werner Karl Heisenberg en 1927. La philosophie et la psychologie, pour leur part, se penchent sur la question de savoir si le déterminisme est compatible avec la liberté humaine.
2 LES CONCEPTIONS SCIENTIFIQUES
Un phénomène peut être influencé, conditionné ou déterminé par un certain nombre de facteurs : l’influence est faible, le conditionnement relatif, en revanche, le déterminisme, lui, est total et absolu. Ce dernier rend compte de l’ensemble des conditions d’existence d’un phénomène, par conséquent il constitue la condition de sa connaissance : quand les conditions nécessaires d’existence du phénomène sont données et que le scientifique connaît leur existence et leur nature, l’apparition et les modalités du phénomène sont prévisibles.
2.1 La mécanique
Ce type de déterminisme accompagne toute la mécanique. Pour Henri Poincaré, il est même une condition nécessaire de la science, car « un monde où le déterminisme ne régnerait pas serait fermé aux savants [...]. La science est déterministe : elle l’est par définition » (le Matérialisme actuel). En effet, pour rendre la démarche scientifique possible, elle doit le postuler et le démontrer par ses découvertes. Louis de Broglie, lauréat du prix Nobel en 1928 pour sa théorie de la mécanique ondulatoire, indiquait que la prévisibilité rigoureuse des phénomènes correspondait au déterminisme en physique.
Cette approche du déterminisme comme condition nécessaire de la science est à l’origine d’une conception globalisante, telle qu’elle fut exposée par le mathématicien et astronome Laplace : selon le principe du déterminisme universel ou de légalité, tous les phénomènes naturels — même les corps vivants — sont liés les uns aux autres par des lois invariables. Laplace en tira la conséquence qu’« une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux ». Cette hypothèse risque de n’être qu’un idéal inaccessible, dans la mesure où toute connaissance scientifique est locale et non globale et où la science est une représentation sans cesse à reprendre dans une dialectique entre la théorie et l’expérience, comme l’a montré Gaston Bachelard dans le Rationalisme appliqué (1949) ; elle risque même de se révéler une illusion, au regard des relations d’incertitude d’Heisenberg.
2.2 La biologie
C’est en utilisant, entre autres, ce principe du déterminisme universel que Claude Bernard permit à la biologie d’accéder au statut de science. « Dans les phénomènes de la vie, il y a un déterminisme aussi absolu que dans les phénomènes des corps bruts », affirmait-il notamment dans Principes de la médecine expérimentale. Il soutenait ainsi que le vivant obéit dans sa totalité à la causalité : le « déterminisme des phénomènes ne signifie rien autre chose que la cause déterminante ou la cause prochaine qui détermine l’apparition des phénomènes » (Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865). En fait, le principe scientifique stipule qu’il n’y a pas d’effet sans cause. Pour pouvoir prétendre faire de la science, le biologiste, et en général le scientifique, doit « rechercher le déterminisme des phénomènes qu’il observe ».
2.3 La physique quantique
Le développement de la physique, et en particulier de la physique quantique au début du XXe siècle, remit en cause la certitude laplacienne. En effet, Heisenberg démontra qu’il était impossible de connaître, prévoir et déterminer à la fois la vitesse et la position d’un corpuscule : le produit de l’incertitude portant sur la quantité de mouvement et de l’incertitude portant sur la position est toujours égale ou supérieure à h, la constante de Planck ; plus on connaît l’une, moins on peut connaître l’autre. Contrairement à ce qu’espérait Laplace, les incertitudes ne peuvent pas être éliminées, plus exactement, le déterminisme ne peut plus être que statistique ; la prévision ne porte plus sur l’état futur d’un seul corpuscule, mais sur celui d’un système, et ce seulement en terme de probabilité.
Cette indétermination irréductible est due non pas à une faiblesse provisoire ou radicale des scientifiques, mais à la nature même des corpuscules et donc aux expériences que l’on peut mettre œuvre. Le prétendu « déterminisme fondamental des phénomènes » est, pour de Broglie, « un acte de foi », qui ne relève nullement du ressort de la physique. La notion de déterminisme en science se modifia donc considérablement, dans la mesure où elle n’est plus créditée d’une validité absolue et qu’elle a désormais une portée précise et circonscrite.
3 LES ENJEUX PHILOSOPHIQUES
Les positions développées par la science ont alimenté les conceptions philosophiques ou idéologiques sur le déterminisme ou l’indéterminisme. Ainsi, on a pu admettre au nom d’un déterminisme mécaniste, et à plus forte raison en s’appuyant sur l’hypothèse de Laplace, que tout est déterminé et fatal et que la liberté n’existe pas. De même, on a pu envisager au nom d’un déterminisme biologique que le vivant se réduit à une mécanique matérielle. Enfin, on a pu postuler au nom d’un indéterminisme quantique que dans la nature, inconnaissable car habitée par le hasard, des phénomènes aléatoires sont possibles.
Ainsi, les interrogations sur le déterminisme sont non seulement d’ordre épistémologique, mais aussi métaphysique et humain.
3.1 Prédéterminisme et fatalisme
Dans la Religion dans les limites de la simple raison (1793), Kant montra que le mot « déterminisme » a d’abord le sens de « prédéterminisme », dans la mesure où la nécessité éternelle des événements résulte de la volonté, de la prescience et de l’omnipotence de Dieu. On retrouve là les problèmes théologiques de prédestination et de prédétermination.
Pour Calvin, en effet, la liberté de l’Homme est réduite quasiment à néant par le déterminisme divin, car seuls les élus prédestinés sont sauvés. Kant opéra par la suite une distinction entre le problème du déterminisme (centré sur la question de savoir si la volonté déterminée par une raison intérieure à l’Homme peut être libre) et celui du prédéterminisme (formulé autour de la question de savoir si la volonté déterminée par des raisons extérieures, antérieures et passées peut être libre). Ces questionnements sont liés à la problématique du fatalisme selon lequel certains événements sont fixés d’avance. La doctrine de la nécessité de Leibniz (Théodicée, 1710), caricaturée dans Candide (1759), fut fortement critiquée par Voltaire précisément pour son prétendu fatalisme.
3.2 Détermination et liberté
L’examen de la liberté individuelle conduisit inéluctablement à la définition du déterminisme psychologique. Trois questions distinctes furent posées à ce sujet. Premièrement, est-ce que tous les faits qui constituent la vie psychiques sont déterminés par leurs antécédents psychiques, autrement dit, est-ce que l’on peut affirmer un déterminisme par le psychisme ? Deuxièmement, est-ce que la vie psychique est entièrement déterminée par des causes d’ordre sociologique, physique, physiologique, psychique, etc., autrement dit, est-ce qu’on peut parler du déterminisme du psychisme ? Spinoza, qui était partisan de cette thèse, soutenait dans l’Éthique (1677), que si les hommes se croient libres, c’est parce qu’ils sont conscients de leurs actions et de leurs appétits, mais ils ignorent les causes qui les déterminent. Freud pour sa part développa un point de vue voisin à partir de la psychanalyse. Enfin, la troisième question portait sur le déterminisme par les motifs : est-ce que le sujet se détermine, comme l’indiquait Leibniz, en fonction du motif le plus fort ?
Dans la Critique de la raison pure (1781), Kant nota la contradiction qui existe entre déterminisme et liberté. Il la qualifia d’« antinomie de la raison pure » pour montrer que la raison peut adopter chacune des deux thèses, mais qu’elle ne peut pas démontrer quelle est la bonne, car le problème ainsi posé dépasse les pouvoirs de la raison pure. En revanche, en distinguant les phénomènes (les choses telles qu’elles nous apparaissent) des noumènes (les choses telles que nous les concevons par la raison), Kant pouvait affirmer qu’une totale nécessité gouverne les phénomènes (d’où la possibilité des sciences, qui reposent sur le déterminisme) et qu’il existe pour l’Homme, au niveau du noumène, la liberté pratique, c’est-à-dire « l’indépendance de la volonté à l’égard de toute loi autre que la loi morale » (Critique de la raison pratique, 1788). Il souligna de la sorte l’existence et l’importance décisives de la morale.

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