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Empirisme

empirisme
1 PRÉSENTATION
empirisme, terme qui renvoie directement à son étymologie grecque : empeiria, signifiant expérience. On peut en effet définir l’empirisme comme une théorie faisant de l’expérience — au sens large, et non au sens restreint d’expérimentation scientifique — l’unique source de connaissance. Ainsi a-t-on baptisé « empirisme » un courant tardif dans la médecine grecque, qui fondait sa pratique sur l’observation des symptômes en s’interdisant toute spéculation sur des causes inapparentes et seulement accessibles par le raisonnement.
Quelque peu mythique, cette généalogie de l’empirisme demeure significative, au moins en ceci que l’empirisme médical est une pratique avant d’être une doctrine, et qu’il comporte une dimension négative ou critique. Dès l’origine en effet, l’attention exclusive aux phénomènes est le corrélat du scepticisme vis-à-vis de la capacité de l’esprit humain à atteindre une réalité supposée intelligible au delà du sensible.
2 UN PIONNIER : GASSENDI
Défini de manière aussi large, l’empirisme est moins une école philosophique qu’une attitude de pensée, à l’œuvre chez les promoteurs de la science nouvelle, tels que le chancelier Francis Bacon ou le philosophe Pierre Gassendi. Le cas de Gassendi est d’ailleurs exemplaire, et montre bien que l’opposition terme à terme entre « empirisme » et « rationalisme » n’est pas seulement une fiction rétrospective de l’histoire des idées, mais que cette partition possède bien, dès le XVIIe siècle, une réelle consistance.
Il y a dans l’empirisme de Gassendi une protestation générale contre toute espèce de formalisme, aussi bien le formalisme logique de la scolastique (avec sa méthode syllogistique), que le formalisme de la méthode cartésienne (suivant l’ordre des raisons plutôt que celui des matières). En soutenant que la seule méthode doit être l’expérience et l’observation (Dissertations en forme de paradoxes contre les Aristotéliciens, I, 7), Gassendi reprend une formule banale depuis la Renaissance, qu’on trouve aussi bien sous la plume de Léonard de Vinci que celle d’Érasme, mais il lui donne une dignité épistémologique neuve, au moment du plein essor de la science galiléenne de la nature. Son opposition à Descartes est typique sur bien des points qui seront revendiqués par l’empirisme ultérieur : le problème du rapport entre certitude et probabilité — qu’on retrouvera chez Hume —, le problème de l’origine des idées et la critique de l’innéisme — Locke, Condillac —, enfin le relativisme logique, qui découle chez lui d’un parti pris nominaliste. Le recueil d’Instances de Gassendi contre la métaphysique de Descartes (1644) est une source à laquelle puisent directement les Essais concernant l’entendement humain de Locke.
3 L'EMPIRISME DE LOCKE ET SA CRITIQUE LEIBNIZIENNE
Manifestement influencée par Gassendi, la critique de Locke n’en garde pas moins son originalité et ses objectifs propres. Elle met au premier plan la critique de l’innéisme (des idées et des principes logiques) et produit une théorie sensualiste sur l’origine et la formation des idées. Bouleversant la tripartition cartésienne des idées en « innées », « factices », « adventices », Locke s’en tient à une distinction entre idées simples et idées complexes. Sont dites complexes les idées que l’esprit humain peut produire lui-même par association d’idées simples ; sont dites simples au contraire les idées que l’esprit ne peut produire, et qu’il doit nécessairement recevoir de l’expérience. Après quoi Locke distingue, parmi ces idées simples, trois types : idées de sensation, idées de réflexion, idées qui sont simultanément de sensation et de réflexion, comme par exemple la durée.
L’opposition typique entre « rationalisme » et « empirisme » resurgit sous la forme d’une discussion des thèses de Locke dans les Nouveaux Essais sur l’entendement humain de Leibniz, l’enjeu principal étant de montrer la possibilité d’une certitude touchant ce qui n’est pas l’objet d’une expérience possible. Du point de vue empiriste, on ne peut émettre que des conjectures sur « ce qui ne tombe pas sous les sens » — nous ne savons rien des substances dont nous ne connaissons que les accidents. Du point de vue de Leibniz, il faut, pour les connaître, remonter des phénomènes aux réalités non physiques qui les fondent, les substances ou monades, qu’il tient pour objets de savoir certain.
4 LA COUPURE KANTIENNE
Ce débat doit attendre la Critique de la Raison Pure de Kant pour trouver une réponse philosophique renvoyant dos à dos les adversaires. Si ne sont effectivement connus que des phénomènes — les choses en tant qu’elles apparaissent — et non des noumènes — les choses en elles-mêmes —, le noumène garde toutefois la propriété d’être pensable. Kant abonde dans le sens de l’empirisme en cela qu’il déclare inconnaissables ces noumènes, et dans le sens du rationalisme en cela que la réalité « en soi » demeure toutefois pensable. Non que la raison doive postuler l’existence d’un « monde intelligible » pour accéder à la connaissance des phénomènes, bien au contraire. Mais Kant déclare à la fois naturelle et inévitable cette tendance de la raison à se prononcer, quoi qu’elle n’en ait pas le pouvoir, sur l’envers des phénomènes. Si la formule classique de l’empirisme devait être : « toutes nos connaissances viennent de l’expérience », alors cette formule à la fois assumée et rectifiée par Kant deviendrait : « il n’y a pas de connaissance au-delà de l’expérience ».
Toutefois la critique kantienne ramène l’empirisme au même niveau dogmatique que l’idéalisme auquel elle l’oppose — ce qui en théorie n’était pas le cas. Husserl renforcera encore cette tendance dans sa critique de l’attitude empiriste, dont il juge parfaitement louable l’exigence d’un « retour aux choses mêmes », mais où il détecte, derrière les apparences, un idéalisme larvé : « la faute cardinale de l’attitude empiriste est d’identifier ou de confondre l’exigence fondamentale d’un « retour aux choses mêmes » avec l’exigence de fonder toute connaissance dans l’expérience. Quand on affirme sans nuances que tous les jugements admettent l’expérience pour fondement, et même l’exigent [...] c’est alors qu’on cède à une construction spéculative a priori » (Idées directrices pour une phénoménologie, I, II, § 19). Comme si, dans le fond, l’empirisme ne pouvait être élevé au rang d’un système philosophique sans perdre son sens initial.
5 L’EMPIRISME MODERNE
La critique kantienne a marqué un tournant décisif. En un sens, l’histoire de l’empirisme est terminée. En un autre sens, elle n’est pas encore commencée, puisqu’au XXe siècle apparaît une doctrine qui revêt officiellement le titre d’empirisme, et en revendique l’exclusivité. L’empirisme de Quine se fonde sur une critique de la notion d’a priori, qu’il conserve en lui inoculant un germe de relativité. L’a priori n’est plus cette région idéale et parfaitement immuable des conditions de possibilité de l’expérience comme c’était le cas chez Kant. Le domaine de l’a priori, c’est-à-dire l’ensemble des énoncés logiques et mathématiques élémentaires sur lesquels reposent les propositions de la science, et celui de l’a posteriori ne sont plus dans un rapport unilatéral de condition et de conditionné : ils se conditionnent mutuellement, sans se confondre. En bref là où Kant opposait strictement deux pôles de la connaissance, l’a priori (formes pures, propositions synthétiques) et l’a posteriori (le donné intuitif), la condition et le conditionné, Quine rétablit une espèce de continuum : il s’agit d’un unique champ traversé par des interactions à estimer en termes de force et d’action réciproque.
L’empirisme contemporain est aussi représenté par les théories de Carnap, nourries par une réflexion sur les rapports entre logique et langage. Contre un certain idéalisme, qui subordonnait les catégories du langage aux catégories logiques, Carnap, sans inverser purement et simplement cette subordination, met en évidence des rapports d’interdépendance qui aboutissent à affaiblir, encore une fois, l’opposition rigoureuse entre condition et conditionné, transcendantal et empirique.

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