mobilité sociale, en sociologie, concept qui se rapporte à la circulation des individus sur l'échelle sociale au cours de leur cycle de vie ou d'une génération à une autre.
La mobilité sociale ne prend sens qu'à partir du moment où une société est divisée en classes sociales ou en catégories socioprofessionnelles. En effet, dans une société organisée en castes ou en ordres, l'hérédité des positions sociales constitue le principal critère de la stratification (différenciation des positions sociales), qui est légitimée par un système de croyances religieuses. La question de la mobilité — l'accès de chacun à une position sociale convoitée quelle que soit son origine — se pose dès lors qu'est affirmée l'égalité juridique entre individus. Cette notion, chargée de connotations affectives, est au fondement de forts clivages politiques : elle est au cœur de l'hypothèse du déclin des classes sociales et de la primauté des stratégies individuelles ; ses partisans s'opposent à ceux qui affirment que les inégalités sociales se reproduisent en dépit de la proclamation des principes d'égalité des chances.
2. MÉTHODES STATISTIQUES
L'analyse sociologique de la mobilité sociale requiert de la prudence, d'autant que les instruments de mesure employés sont souvent contestés. L'identification de l'individu sur l'échelle sociale est établie selon son statut professionnel, défini en France par la nomenclature des professions et catégories socio-professionnelles élaborée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Elle permet de rendre compte, d'une part, de la mobilité intragénérationnelle — l'ascension sociale, le déclassement ou le maintien de la position initiale opéré par l'individu durant sa trajectoire professionnelle — et, d'autre part, de la mobilité intergénérationnelle — les déplacements ou la stagnation de l'individu par rapport à son origine sociale — mesurée généralement au regard du statut professionnel du père.
Le sociologue construit ainsi des tables de mobilité dites de destinée (qui permettent de saisir, par exemple, le pourcentage de fils d'agriculteurs restés agriculteurs) et de recrutement (qui servent à définir, par exemple, le pourcentage d'agriculteurs dont le père exerçait la même profession). La diagonale d'une table de mobilité permet de lire le degré de reproduction sociale. La lecture d'une table de mobilité doit cependant prendre en compte la mobilité structurelle, c'est-à-dire l'évolution de la structure des emplois d'une génération à une autre (si l'exode rural s'amplifie, la probabilité de devenir agriculteur s'amenuise quels que soient par ailleurs les projets individuels). La mobilité totale recoupe ainsi la mobilité structurelle (qui résulte de l'évolution de la société) et la mobilité nette, qui correspond statistiquement au résidu (la différence entre les deux premiers termes) et qui demeure un phénomène peu répandu.
L'analyse de la mobilité sociale appréhendée par les tables de mobilité a donné lieu à de nombreux débats méthodologiques. Il a été souligné que du fait même que l'âge de la population étudiée est généralement compris entre 40 et 59 ans, période où le parcours professionnel paraît stabilisé, la position sociale de l'individu n'est appréciée qu'à un moment de sa trajectoire (un coiffeur qui s'installe à son compte après avoir travaillé une vingtaine d'années comme employé est ainsi assimilé à un artisan, et son parcours antérieur n'est pas pris en compte). De même, le choix de la profession comme principal indicateur ne rend qu'imparfaitement compte du statut social de la personne : il laisse échapper d'autres déterminants, comme l'étendue des ressources dont dispose la famille d'origine. La mesure de la mobilité sociale se révèle encore plus délicate dans le cas des femmes, dont le faible taux d'activité a longtemps conduit à identifier leur position d'origine avec la profession du père et leur position actuelle avec celle du mari ; cette solution n'est plus guère envisageable aujourd'hui, même si la profession n'est pas forcément le critère d'identification sociale le plus pertinent pour une partie de la population féminine. Enfin, l'approche statistique de la mobilité pourrait laisser croire à une hérédité factice des positions (être agriculteur dans la France des années cinquante et dans celle des années quatre-vingt-dix ne signifie pas que l'on occupe un statut social identique, contrairement à ce qu'une lecture rapide d'une table de mobilité pourrait suggérer).
Ces réserves émises par les statisticiens et les sociologues eux-mêmes ne visent pas à rejeter l'usage des tables de mobilité ou à récuser toute possibilité de mesurer la mobilité, mais à rendre compte de la complexité du phénomène.
3. ANALYSE GLOBALE
Alors que les sociétés démocratiques vantent le libre choix et l'égalité des conditions, l'analyse de la mobilité sociale débouche sur un constat radicalement différent : la mobilité sociale nette, celle qui résulte du « hasard » ou du projet individuel apparaît davantage comme l'exception que comme la règle. Cette conclusion paradoxale a suscité diverses interprétations chez les sociologues. L'un des premiers auteurs à s'être penché sur ce sujet fut le sociologue américain d'origine russe Pitirim Sorokin, qui, dès les années trente, insistait sur le filtrage exercé par diverses institutions : il démontra qu'au cours du processus de socialisation l'école et la famille limitaient les déplacements sociaux en diffusant des valeurs propres à chaque groupe social.
Dans une optique découlant de l'individualisme méthodologique, le sociologue américain Arnold Anderson, auteur au début des années soixante d'un célèbre paradoxe qui porte son nom, mit en évidence un autre facteur de pesanteur sociale : le fait de posséder un niveau de diplôme sensiblement plus élevé que son père ne garantit pas automatiquement l'accès à une position sociale plus haute. Il est en effet nécessaire, comme l'a souligné le sociologue français Raymond Boudon dans son ouvrage l'Égalité des chances (1973), de comparer le système éducatif et la structure des emplois (si le premier délivre par exemple plus de titres d'ingénieurs que le marché du travail n'offre de postes, une partie des diplômés subiront une déqualification et éventuellement un déclassement si leur père était, par exemple, lui-même ingénieur).
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ont particulièrement insisté, notamment dans les Héritiers (1966) et la Reproduction (1970), sur le rôle du système scolaire, qui consacre et légitime les inégalités de classes : la réussite scolaire est en corrélation étroite avec l'origine sociale, ce qui est la conséquence d'un mécanisme de violence symbolique. Celle-ci fait accepter à chacun sa position (la réussite ou l'échec) comme résultat de son seul mérite (« l'idéologie du don ») et dissimule ainsi, sous couvert d'un discours méritocratique, les mécanismes d'exclusion à l'œuvre dans l'enceinte scolaire, qui perpétuent les privilèges des catégories dominantes.