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La civilisation

Civilisation

La civilisation désigne l'ensemble des croyances, des conventions sociales et l'état d'avancement matériel qui caractérisent une société. Souvent opposé à la notion de culture, le terme apparut au XVIIIe siècle sous la plume de Mirabeau, qui l'employa au double sens de processus du « progrès » matériel, social, culturel, et de résultat de ce processus. Plus ancien, le terme de culture (du latin cultura, « champ cultivé ») ne prit son sens moderne qu'au XXe siècle : « Ensemble des formes acquises de comportements dans les sociétés humaines », telle fut la définition qu'en donna Marcel Mauss dans les années 1920.

CIVILISATION ET CULTURE

La notion de civilisation fit l'objet de nombreuses controverses au XXe siècle, qui furent marquées par deux penseurs s'inspirant des analyses critiques de Friedrich Nietzsche.

La philosophie de l'historien allemand Oswald Spengler, telle qu'elle apparaît dans son livre le Déclin de l'Occident (1918-1922), repose sur une conception biologique de l'organisation sociale. Selon lui, la culture est la phase créatrice et ascendante de toute société, alors que la civilisation en est la phase descendante, mortifère, qui se caractérise par l'excès de rationalité, par la prédominance des critères matérialistes et hédonistes : après avoir tué le mythe religieux, qui est à l'origine de toute société autonome, la raison devient l'outil d'une liberté et d'une démocratie qui privent les individus de toute spontanéité et fait des citoyens des êtres manipulés au service des oligarchies financières. Ce processus irréversible se produit dans toutes les sociétés. L'historien anglais Arnold Toynbee reprit l'idée d'autonomie des civilisations de Spengler, mais il ne les considéra pas comme des organismes biologiques repliés sur eux-mêmes et parcourant la même évolution historique. Dans Study of History (l'Histoire. Un essai d'interprétation, 1934-1961), ils apparaissent comme des unités spirituelles, qui marquent, par leur naissance, leur évolution, leur grandeur et leurs misères, les différentes étapes par lesquelles passe l'humanité depuis sa naissance. Il distingue ainsi vingt et une civilisations, six vivantes (occidentale, chrétienne orthodoxe, arabe, iranienne, hindoue, extrême-orientale), treize éteintes (gréco-romaine, minoenne, sumérienne, etc.) et d'autres encore. Toynbee cherche à dégager des lois fondamentales qui rendent comparables ces civilisations : l'élément moteur est le « défi » (challenge) qui incite une communauté humaine à sortir de l'ornière de ses habitudes pour s'élever à un niveau supérieur, aller vers l'indépendance et s'affirmer. Les élites jouent un rôle fondamental dans ce processus ainsi que dans le déclin, qui survient notamment lorsqu'elles sont incapables de répondre aux nouveaux défis et deviennent de simples minorités qui détiennent le pouvoir. Le déclin se poursuit avec l'arrivée des masses prolétariennes, qui créent une sorte d'État universel (Empire romain, Empire soviétique).

LES PROCESSUS CIVILISATEURS

La réflexion sur l'expérience du national-socialisme et les débats sur le totalitarisme conduisirent plus récemment à de nouvelles conceptions. En fait, l'antinomie entre culture et civilisation provient essentiellement d'une discussion entre deux écoles philosophiques allemandes, dont les chefs de file respectifs furent l'économiste Alfred Weber (1868-1958) et le sociologue Norbert Elias (1897-1990). Dans Adieu à l'histoire européenne (1946), Alfred Weber distinguait le processus social, le processus de civilisation, auquel participent la science et la technologie, et le processus culturel. Pour lui, les notions d'évolution, voire de progrès, ne s'appliquent qu'aux deux premiers concepts. Le livre classique d'Elias Über den Prozess der Zivilisation (1939, traduit incomplètement en deux volumes différents : la Civilisation des mœurs, 1975, et la Dynamique de l'Occident, 1975) redonne au concept de civilisation une base matérielle : « Ce concept, affirme-t-il, exprime la conscience de soi de l'Occident... Il résume tout ce en quoi la société occidentale des deux ou trois derniers siècles se sent supérieure aux sociétés qui l'ont précédée ou aux sociétés contemporaines plus primitives. Par ce terme, la société occidentale cherche à décrire [...] ce dont elle est fière : le niveau de sa technologie, la nature de ses mœurs, le développement de ses connaissances scientifiques... »

Dans cette perspective, Elias étudia l'histoire des modes de comportement (manger, dormir, s'habiller, etc. — toutes choses que les hommes sont « contraints » naturellement de faire pour vivre en toutes circonstances). Il montra que ces aspects fondamentaux des comportements ne faisaient pas l'objet de gêne ou d'embarras dans les temps reculés, notamment au Moyen Âge. Puis avec la Renaissance, des codes plus ou moins explicites apparurent, révélant une certaine recherche du contrôle des émotions et de la maîtrise de soi. Ainsi, les individus reçurent des codes différents leur indiquant comment se comporter dans les groupes, en vertu des contraintes de moins en moins extérieures (vêtements, parlers, etc.) et de plus en plus intériorisés. L'explication de ce processus réside, selon Elias, dans la violence de l'État et dans le fait qu'il monopolisa les divers pouvoirs. L'intériorisation des contraintes et obligations est un processus général et les processus civilisateurs varient d'un peuple à l'autre, d'une époque à l'autre.

La pensée d'Elias permet de dépasser l'antinomie entre la culture et la civilisation, dans la mesure où il affirme avec force que chaque civilisation est avant tout matérielle, quel que soit le degré de sa « spiritualité ».

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