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La culture

culture (anthropologie)
1  PRÉSENTATION

culture (anthropologie), notion clé de l’anthropologie, définie en 1871 par Edward Burnet Tylor comme « un tout complexe qui englobe les connaissances, les croyances, l’art, la morale, la loi, la tradition et toutes autres dispositions et habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société ».

Si cette définition demeure une référence, la notion de culture fait l’objet de nombreuses autres acceptions et théories.

2  ÉMERGENCE DU CONCEPT

La terme latin cultura se réfère à la fois à la culture du champ (agricultura) et à celle de l’esprit : Cicéron désigne la philosophie par le terme animi cultura. L’expression cicéronienne est reprise par Francis Bacon pour désigner l’activité intellectuelle et la pratique des lettres. Au XVIIe siècle, le juriste allemand Samuel von Pufendorf est le premier à l‘employer sans complément, en l’opposant à nature. Cette conception atteint son plus haut degré de précision chez Kant, qui définit la culture comme un processus : « Produire chez un être raisonnable l’aptitude générale aux fins qui lui plaisent, par conséquent dans sa liberté ». Et d’ajouter : « Ainsi seule la raison peut être la fin dernière que l’on a quelque raison d’attribuer à la nature par rapport à l’espèce humaine ».

Cette conception en quelque sorte finaliste de la culture par rapport à la nature se prolonge chez Hegel, qui emploie le mot Bildung (« formation », « éducation ») pour désigner le processus formateur et transformateur de l’esprit. Si Hegel attribue toujours un caractère universel à la culture, il envisage cependant qu’elle conditionne une vision du monde selon les groupes considérés. Cette nuance entre une conception universaliste et une approche particulariste se retrouve dans les premières définitions formulées par les anthropologues de la fin du XIXe siècle et du début du XXe.

3  ENTRE UNIVERSALISME ET RELATIVISME
3.1  La culture selon Edward Burnet Tylor

La première définition anthropologique de la culture est élaborée par le Britannique Edward Burnett Tylor dans son ouvrage Primitive Culture (la Civilisation primitive, 1871) : « La culture, considérée dans son sens ethnographique le plus large, est ce tout complexe qui englobe les connaissances, les croyances, l’art, la morale, la loi, la tradition et toutes autres dispositions et habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société ». La culture est ici envisagée comme regroupant tous les traits humains qui peuvent être transmis socialement et mentalement, plutôt que biologiquement. La définition de Tylor continue donc d’envisager la culture en l’opposant à la nature.

Profondément ancré dans cette perspective universaliste et envisageant la « culture » au singulier comme synonyme de la « civilisation », Tylor considère que les différences dans les champs de la connaissance, des coutumes et des croyances témoignent des différences de degré d’avancement entre les sociétés. Considérées sur une échelle de progrès définie en fonction de la complexité relative de la technologie et des institutions sociales, ces différences sont en effet imputables au niveau de développement mental atteint biologiquement par les populations considérées. L’anthropologie se doit donc de classer les différentes cultures observées selon un continuum allant du type le plus simple au plus élaboré.

3.2  La culture selon Franz Boas

Au début du XXe siècle, Franz Boas fournit une première critique de cette définition pour imposer une approche résolument particulariste de la culture. L’anthropologue américain d’origine allemande affirme que les formes et les modes de vie des hommes n’évoluent pas selon un modèle linéaire et en fonction du niveau de leur développement mental, mais qu’elles sont les produits de processus historiques locaux. Ces processus historiques sont déterminés non seulement par les conditions environnementales dans laquelle vit la société considérée, mais également par les contacts qu’elle entretient avec les sociétés avoisinantes. Par conséquent, plutôt que de comparer des institutions observées dans différentes sociétés, les anthropologues doivent, selon Franz Boas, analyser en priorité les éléments d’une culture dans le contexte de la société étudiée.

4  DE L’ÉCOLE CULTURALISTE À L’ANTHROPOLOGIE CULTURELLE AMÉRICAINE
4.1  L’école « Culture et personnalité »

Cette perspective particulariste et relativiste de la culture donne naissance au milieu du XXe siècle à l’école culturaliste américaine, connue également sous le nom de « Culture et personnalité » et représentée notamment par Margaret Mead, Ruth Benedict et Ralph Linton. L’école culturaliste, qui établit le premier lien entre l’anthropologie et la psychanalyse, envisage la culture dans une perspective holiste, où l’individu forme un tout indivisible qui ne peut être expliqué par ses différentes composantes appréhendées séparément. Dans ce cadre, l’individu est entièrement façonné par la culture du groupe dont il est issu — par le biais de l’éducation —, jusque dans sa personnalité, ses comportements, sa vision du monde. Le relativisme culturel apporte ainsi une réponse directe aux thèses racistes de l’époque, qui reposent largement sur les postulats évolutionnistes.

Tout en se fondant sur les théories de Franz Boas, le courant de pensée culturaliste s’en détache cependant en essayant de nuancer sa définition de la culture. Ainsi, au début des années 1950, Alfred Kroeber et Clyde Kluckohn tentent-ils de recenser l’ensemble des définitions de la culture dans l’espoir de proposer une approche plus comparative. L’anthropologie culturelle américaine demeure toutefois très imprégnée de la conception boasienne de la pluralité des cultures, l’analyse de la culture d’une société ne s’effectuant qu’en référence à elle-même.

4.2  Culture et société

Le débat autour du concept de culture s’articule par la suite autour de la question de la distinction entre culture et société. Les structuralistes proposent une vision moins inclusive de la culture et moins déterministe dans la mesure où ils considèrent que seule l’analyse de la structure sociale peut rendre compte de façon pertinente de la manière dont les individus et les groupes produisent et sont les produits de leur contexte culturel. La culture, considérée alors comme un ensemble de normes de comportement, de symboles et d’idées, apparaît secondaire par rapport au système social.

5  LES CRITIQUES RÉCENTES DU CONCEPT DE CULTURE

Il faut attendre les années 1960-1970 pour voir émerger des critiques qui remettent véritablement en cause l’idée de culture comme un ensemble cohérent et homogène. Les anthropologues marxistes, ainsi que les militantes féministes, soulignent que le concept de culture masque en réalité les clivages entre les classes, les genres et les différentes idéologies qui s’affrontent dans une société. Des chercheurs tels que l’anthropologue Lila Abu-Lughod s’insurgent sur le caractère réifiant de la culture qui, en homogénéisant et en donnant une vision statique des groupes humains, leur confère une altérité radicale et parfois déshumanisante.

Dans ce cadre, certains anthropologues proposent comme priorité l’analyse des confrontations et des articulations entre les différentes valeurs et pratiques qui sont propres aux différents individus et groupes au sein d’une même société. De cette manière, il s’agit de comprendre comment ces valeurs contradictoires peuvent parfois s’articuler pour donner naissance à d’autres valeurs et d’autres pratiques. Dans cette perspective la culture est davantage perçue comme un processus — cette idée est notamment développée par l’anthropologue américain Sally Falk Moore — ou comme un flux (R. Fox).

Dans le contexte de la mondialisation, certains anthropologues, tels que Ulf Hannertz, insistent sur la nécessité de se concentrer sur les phénomènes de métissage des cultures (« créolisation »). Grâce aux flux plus nombreux et plus intenses de personnes, de biens et de valeurs, les individus d’une société donnée ont accès à plusieurs autres espaces culturels. Empruntant des éléments au sein de ces autres cultures et les adoptant au sein de la leur, ils participent à la créolisation de cette dernière.

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