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La nation

nation
1 PRÉSENTATION
nation, groupe humain vivant sur un même territoire, lié par la conscience d’une histoire, d’une culture, de traditions et parfois d’une langue communes et formant une entité politique.
2 DU SENTIMENT NATIONAL À LA NATION
Si le sentiment national, suscité par les rois de France, fait son apparition lors de la guerre de Cent Ans, la définition actuelle du mot « nation » est le fruit d’une longue évolution qui n’aboutit qu’au XIXe siècle, bien que le terme ait existé antérieurement : ainsi, au XVIIe siècle, le dictionnaire de Furetière en donne la définition suivante : « Un grand peuple habitant une même étendue de terre renfermée en certaines limites ou même sous une certaine domination », mais le terme n’a pas encore sa connotation idéologique d’attachement à un ensemble géographique, d’enracinement dans un terroir. L’Encyclopédie (1765) n’est pas plus précise et s’attache au constat : « Une quantité considérable de peuples qui habite une certaine étendue de pays, renfermée dans de certaines limites, qui obéit au même gouvernement. »
3 L’APPORT DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
L’exaltation de la nation se fait avec la poussée de la bourgeoisie contre l’Ancien Régime d’abord, puis contre la royauté. Sieyès, dans Qu’est-ce que le tiers état ? (1789), donne la conception moderne de nation. Celle-ci est formée d’individus, éléments indépendants, mais gouvernés par un unique pouvoir, et soumis aux mêmes lois, ouvrages de leur volonté. Tous ont les mêmes droits et sont libres dans leur communication. Cette collectivité forme un corps ; la nation n’est pas une combinaison. L’État n’est pas autre chose que la personnification de la nation. L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 déclare que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». L’idée dominante, ici, est que la volonté nationale n’est pas la somme des volontés singulières, mais qu’elle doit être dégagée par les représentants de la nation. En 1789, la devise révolutionnaire montre ce renversement des valeurs et cette nouvelle hiérarchie : « La Nation, la Loi, le Roi. » L’idée de nation s’exprime également à travers des symboles : le drapeau national, la fête nationale ou l’hymne national (la Marseillaise, créée en 1792).
4 LA NAISSANCE DES ÉTATS-NATIONS
Les guerres de la Révolution et de l’Empire cristallisent à travers l’Europe un mouvement de prise de conscience nationale. Des pays morcelés comme l’Italie ou l’Allemagne commencent à se penser en tant que nations, par opposition à l’hégémonie française. Mme de Staël tente, dans un roman comme Corinne ou l’Italie et dans un traité comme De l’Allemagne, de définir la constitution de ces nations en relation avec un lieu, un climat d’une part, une histoire, une religion et une culture de l’autre.
Le mot « nation » domine toute la pensée et l’histoire du XIXe siècle. Les conflits européens inspirent à Ernest Renan son essai philosophique Qu’est-ce qu’une nation ? (1882). Renan met en avant les différents éléments constitutifs d’une nation : la race, la langue, la religion, la géographie, mais il ajoute que le fondement d’une nation est essentiellement affectif et intellectuel : « Une nation est une âme, un principe spirituel [...], c’est l’aboutissement d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements ; avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent, avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les questions essentielles pour être un peuple. » Pour Renan, la nation est le sentiment d’avoir un passé commun et un avenir à construire ensemble.
À cette conception « spirituelle » de la nation telle que l’expose Renan, qui souhaite le retour de l’Alsace-Lorraine dans la France et donc fonde la nation non sur la langue mais sur l’attachement à une communauté, s’oppose celle des Allemands Herder et Fichte, qui définissent la nation sur une base organiciste. La nation est un organisme, né de la géographie, mais plus encore d’une langue, de goûts et de caractères communs. Ainsi elle ne peut demeurer à travers l’histoire qu’en restant fidèle à sa propre culture. Chaque nation diffère donc des autres par son caractère. À la nation de Renan qui s’exprime, de façon universaliste — chaque nation est fondée sur le même principe de l’attachement de chaque peuple à une même communauté —, répond celle d’Herder : chaque nation existe intrinsèquement et de façon irréductible, différente, indépendante d’un État qui la constituerait, marquant ainsi la prééminence de la société sur l’État, mais ouvrant aussi la voie à un particularisme propre à chaque nation.
Les XIXe et XXe siècles voient se développer dans le monde une société de nations. La multiplication des liens internationaux conduit à la formation d’organisations supranationales, voire à la formation de fédérations nationales. En 1945, le droit des peuples est consacré par la Charte des Nations unies. Fortes de cette légitimité nouvelle, les revendications nationalistes et les mouvements d’indépendance se renforcent au sein des empires coloniaux. Ces mouvements conduisent, par des processus divers, à l’émancipation des nations asiatiques et africaines. La chute du communisme en Europe de l’Est et la décomposition de l’Union soviétique, à la fin du XXe siècle, provoquent un nouveau mouvement de construction nationale avec l’éclatement de l’ex-Yougoslavie en cinq États et l’émergence des États baltes, slaves et d’Asie centrale.
5 NATION ET NATIONALISME
Le mot « nationalisme », dérivé du mot « nation » et employé couramment à partir du début du XIXe siècle, est ainsi défini par Raoul Girardet, dans Nationalisme français 1871-1914 : « Le souci prioritaire de conserver l’indépendance, de maintenir l’intégrité de la souveraineté et d’affirmer la grandeur d’un État-nation. » Dans le nationalisme, le sentiment d’appartenance et d’adhésion à la nation se double de l’affirmation de la prééminence de la nation comme cadre de la solidarité sur les autres solidarités. Le nationalisme désigne trois sortes de réalités associées à l’idée de nation. Il est couramment employé dans le sens de chauvinisme pour désigner des formes outrancières ou caricaturales d’adhésion à la patrie. Il s’utilise également pour désigner les revendications d’un peuple assujetti, aspirant à l’indépendance. Il sert enfin d’étiquette idéologique à des mouvements de droite ou d’extrême droite, qui affirment la priorité des défenses et des intérêts nationaux sur tout autre enjeu politique.
On voit donc que la nation est une notion complexe, porteuse de liberté, mais chargée de représentations symboliques, plus ou moins imaginaires, qui peuvent légitimer les conduites les plus extrêmes. Il y a ainsi une dérive possible dont la séquence va de la nation à la revendication nationale pour aboutir finalement au nationalisme.

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