Ibn Khaldoun
1 .Présentation
Ibn Khaldoun né le 27 mai 1332 à Tunis et mort le 17 mars 1406 au Caire, est un historien, sociologue, économiste, géographe, démographe, et homme d'État d'origine arabe. Sa façon d'analyser les changements sociaux et politiques qu'il a observés dans le Maghreb et l'Espagne de son époque a conduit à considérer Ibn Khaldoun comme un précurseur de la sociologie et démographie moderne. Il est aussi un historien de premier plan auquel on doit la Muqaddima (traduite en Prolégomènes), qui est en fait son Introduction à l'histoire universelle et à la sociologie moderne, et Le Livre des exemples ou Livre des considérations sur l'histoire des Arabes, des Persans et des Berbères. Dans ces deux ouvrages résolument modernes dans leur méthode, Ibn Khaldoun insiste dès le début sur l'importance des sources, de leur authenticité et de leur vérification à l'aune de critères purement rationnels. Les savants européens du xixe siècle ont reconnu l'importance de Prolégomènes, et considéraient Ibn Khaldoun comme l'un des plus grands philosophes du Moyen Âge,. Georges Marçais affirme que « l'œuvre d'Ibn Khaldoun est un des ouvrages les plus substantiels et les plus intéressants qu'ait produit l'esprit humain ». Selon Gabriel Martinez-Gros, il « est le seul grand philosophe de l'histoire et du pouvoir qui ne soit pas européen ».
2 .Théorie
Rupture avec ses prédécesseurs.
Par rapport à ses prédécesseurs, si l'on excepte Hérodote et Thucydide, Ibn Khaldoun introduit une rupture épistémologique. Sa première démarche consiste à assigner à l'histoire une place dans l'organisation du savoir d'où elle est absente.
3 .Une démarche rationnelle
Ibn Khaldoun fonde son étude sur l'observation et la logique, avec notamment l'utilisation du raisonnement inductif. La rationalité scientifique est à ses yeux l'une des caractéristiques fondamentales de l'homme. En effet, il estime que ce dernier est plus faible que la plupart des animaux mais qu'il est doté de la « pensée et [de] la main ». Ceci lui permet de fabriquer des outils de plus en plus perfectionnés qui lui permettent aussi bien de subvenir à ses besoins que de comprendre son environnement. Mais il s'agit également de connaître les limites de cette rationalité scientifique, limites « inhérentes à toute investigation et interprétation du réel »
4 .Son apport
Ibn Khaldoun demeure l'un des penseurs arabes les plus connus et les plus étudiés car il a souvent été présenté comme l'un des pères fondateurs de l'histoire en tant que science et discipline intellectuelle, de la sociologie mais aussi de la sociologie politique. Certains analystes ont vu en lui un précurseur des travaux de Nicolas Machiavel, Montesquieu, Auguste Comte, Karl Marx ou Max Weber. Pour Claude Cahen, « Ibn Khaldûn dépasse à maints égards la puissance intellectuelle d'un Thomas de Aquino ». Philip Khuri Hitti, dans ses Récits de l'Histoire des Arabes, affirme qu'« Ibn Khaldoun a été le plus grand philosophe et historien que l'islam ait jamais produit et l'un des plus grands de tous les temps ». Son œuvre traite pourtant aussi des sciences naturelles puisqu'il précise que la Terre a « une forme sphérique […] comme un grain de raisin », suivant en cela Ptolémée, astronome grec du IIe siècle. Il anticipe également les travaux d'Isaac Newton en affirmant que « le dessous naturel de la terre, c'est le cœur et le centre de sa sphère, vers lequel tout est attiré par la pesanteur ».
.Sociologie
Même si ses travaux ont été interprétés dès le XVIIIe siècle par divers auteurs européens, les premiers sociologues européens ont ignoré ses textes et n'ont pu se référer à lui pour faire progresser leur discipline. Nombre de ses idées, concepts et méthodes ont donc été a posteriori considérés comme des précurseurs de certaines théories et disciplines conçues en Europe. Ainsi, Ludwig Gumplowicz, professeur de sciences politiques à l'Université de Graz, dans un ouvrage intitulé Aperçus sociologiques publié à Paris en 1900, rapporte qu'« un pieux moslem [musulman] avait étudié à tête reposée les phénomènes sociaux et exprimé sur ce sujet des idées profondes : ce qu'il a écrit est ce que nous nommons aujourd'hui sociologie ».
René Maunier publie un article sur Ibn Khaldoun, dans la Revue internationale de sociologie de mai 1915, dans lequel il écrit notamment que la Muqaddima « contient les fragments dispersés d'un traité complet de sociologie ». En effet, Ibn Khaldoun a construit un modèle qui a souvent été rapproché du modèle durkheimien de sociétés à solidarité mécanique et à solidarité organique ou encore de l'usage que Ferdinand Tönnies a fait des concepts de communauté et de société. Toutefois, les modèles du XIXe siècle reposent sur une interprétation évolutive des sociétés alors qu'Ibn Khaldoun distingue deux types de milieux sociaux distincts évoluant dans une même société.
.Histoire
Ibn Khaldoun est aussi considéré comme l'un des premiers théoriciens de l'histoire des civilisations, comme le souligne l'historien Fernand Braudel dans l'article « Histoire des civilisations : le passé explique le présent » publié en 1959 dans L'Encyclopédie française. Braudel appuie également l'affirmation de l'historien britannique Arnold Joseph Toynbee qui écrit dans Étude de l'histoire (A Study of History, 1934-1961) qu'Ibn Khaldoun a « conçu et formulé une philosophie de l'histoire qui est, sans doute, le plus grand travail qui ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays »,.
Il est aussi parmi les premiers à avoir défini la période de transition comme une période charnière entre deux civilisations, comme l'a fait Karl Marx lorsqu'il aborde le passage du féodalisme au capitalisme. Il a en effet remarqué qu'à certains moments, les civilisations se trouvent dans des périodes charnières où elles manifestent à la fois des signes de décadence mais aussi de renaissance, ce qui était le cas pour le Maghreb à son époque.