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La sociologie

sociologie

1PRÉSENTATION
sociologie, science des phénomènes sociaux.
La sociologie se situe dans le champ des sciences sociales ou humaines qui, comme l’économie, la science politique, l’anthropologie, la psychologie ou l'histoire, étudient les comportements humains collectifs. La sociologie peut avoir des points de contact avec ces autres sciences, partager avec elles les mêmes objets d'études, et même développer des liens interdisciplinaires.
Sa spécificité tient au fait qu'elle s'attache à la logique sociale des phénomènes qu'elle observe, tandis que la psychologie tend à en privilégier la dimension individuelle (par exemple, dans l'étude de la famille, la psychologie pourra s'intéresser à la vie psychique de l'enfant, alors que la sociologie insistera plutôt sur la transmission de la position sociale ou du capital culturel). Par rapport à la science économique, la sociologie propose des cadres d'analyse plus larges et plus qualitatifs pour interpréter les phénomènes sociaux au-delà de leur pure fonction économique (la sociologie des marchés se distinguera ainsi de l'analyse économique des prix). D'autre part, l'anthropologie ou l'ethnologie fournissent des analyses en termes de culture et de pratiques rituelles que la sociologie peut reprendre, tout en ajoutant, cependant, une dimension plus quantitative, voire statistique (classer les comportements humains en fonction de certaines variables, comme le sexe, l'âge ou l'origine socioprofessionnelle est une des caractéristiques de la recherche sociologique).
Les objets soumis à l'analyse sociologique peuvent être très variés. À des thèmes classiques comme les relations familiales, les idéologies, la religion, l'éducation, l'organisation du travail, la violence, le pouvoir ou les pratiques culturelles peuvent s'ajouter des domaines comme l'art, la technologie, le corps ou la science. L'activité sociologique se caractérise par un travail théorique poussé, mais aussi par une démarche empirique rigoureuse, quantitative et qualitative, et par une dimension appliquée.
2CONCEPTS ET OBJECTIFS
En général, et de manière typique, la sociologie tente d'expliquer les comportements humains en montrant des déterminations sociales qui ne sont pas toujours évidentes, et qui se placent au-delà de la portée des individus en tant que tels. Les phénomènes collectifs peuvent avoir une logique propre : ils ne sont donc pas le pur reflet d'actions et de choix individuels. Un exemple classique de ce genre de logique sont les phénomènes de foule : des phénomènes composés, bien entendu, d'actions et de comportements individuels, mais dont la dynamique dépasse les décisions individuelles qui en sont à l'origine. La sociologie tentera de mettre en évidence l'autonomie relative de ce genre de phénomènes sociaux. Parallèlement, les manières d'agir, de penser et de sentir peuvent être conditionnées par des éléments extérieurs à l'individu (par exemple, par son insertion dans un contexte social et dans une histoire collective). L'illustration typique de cette démarche est celle que le sociologue classique Émile Durkheim a proposée à l'égard du suicide : la sociologie ne traitera pas ce phénomène comme un événement de la vie intérieure ou comme un cas psychologique, mais comme un « fait social » qui peut être rattaché à l'évolution de diverses formes de solidarité sociale.
Un parcours sur quelques concepts clés du vocabulaire sociologique peut aider à comprendre la portée de cette discipline. La socialisation est, par exemple, le processus par lequel les individus acquièrent leurs compétences et leurs ressources sociales et deviennent des acteurs sociaux : la famille et l'école sont les éléments centraux de ce processus, mais d'autres milieux, comme les cercles d'amis ou le travail, peuvent avoir une place importante dans la socialisation. Le rôle social est la caractéristique qui rattache un acteur à une fonction sociale.
Une norme sociale est une règle de conduite généralement admise dans une société. Elle va au-delà des dispositions légales ou des règlements écrits : une norme de politesse, qui varie de société en société, ou un interdit sexuel sont des exemples de normes sociales. On parlera aussi, dans certains cas, de conventions sociales : le sens de la circulation routière est un exemple typique de convention sociale. Une société dispose de moyens plus ou moins subtils, plus ou moins violents, pour sanctionner les déviances aux normes sociales. Elle dispose aussi des ressources qui permettent aux acteurs sociaux de les transformer.
Les institutions sociales sont les entités qui garantissent l'ordre de la vie collective. Elles permettent aux acteurs de « tenir ensemble » sous plusieurs aspects : par exemple, en garantissant les processus de socialisation et de reproduction sociale (la famille, l'école), en sanctionnant les déviances (le droit, la police), en organisant la vie économique (le marché, le droit, les syndicats), en permettant la communication (la langue, les moyens de communication) ou en fournissant des repères d'intégration morale (la religion).
Les institutions sociales, les normes et les conventions sociales ne sont pas toujours le résultat de choix conscients et rationnels. La sociologie les décrit plutôt comme l'effet de processus historiques longs, complexes, coûteux et contingents. Certains courants sociologiques insisteront sur les éléments qui font de ces institutions, normes et conventions des modes de domination. Un concept fondamental de la sociologie est, à cet égard, celui de classe sociale. Les sociétés humaines ne sont pas homogènes. Les classes sociales peuvent être entendues comme l'effet de la distribution des personnes dans des luttes d'intérêts ou dans des rapports de domination. D'une manière plus générale, les classes sociales ou les catégories sociales sont des classements qui distinguent la place des personnes dans la société en fonction de leurs revenus, de leur profession, de leur culture, de leur fonction sociale ou de leur mode de vie.
La sociologie s'intéresse aussi aux phénomènes d'interaction sociale, c'est-à-dire, aux rapports de communication intersubjective, rapports de « face à face » entre les individus ou phénomènes sociaux dans des groupes de taille modérée (habitudes des personnes dans la vie quotidienne, relations de proximité ou organisation de la hiérarchie dans un groupe de pairs). À une échelle plus large, on appelle réseaux sociaux les chaînes de relations qui lient les individus et les groupes entre eux. La sociologie étudie la forme de ces réseaux et leurs caractéristiques.
D'autre part, l'analyse sociologique des contenus subjectifs s'attaque aux motivations, aux intérêts, aux opinions, aux valeurs et aux croyances des individus. Ces contenus trouvent leur correspondance avec des grandeurs sociales : des représentations collectives, des systèmes symboliques, des cultures, des idéologies. C'est ainsi que la sociologie s'intéresse aux relations entre la vie subjective des acteurs sociaux, qui est vécue de manière plus ou moins spontanée, et des régularités structurelles qui sont, elles, objectives et durables.
3HISTOIRE DE LA DISCIPLINE
3.1Aux origines de la sociologie
La sociologie comme ensemble de connaissances systématisées est une science récente. Le terme « sociologie » (composition moderne à partir de la racine latine du mot « société » et d'une terminaison d'origine grecque) apparaît dans la première moitié du XIXe siècle. Il est créé par Auguste Comte pour désigner la science « positive » des faits sociaux : une science des « lois » qui, à l'image des lois de la nature mises en évidence par les sciences physiques ou naturelles, régissent la société humaine. Comte utilise aussi l'expression « physique sociale » pour souligner le caractère scientifique de la nouvelle discipline. Cette discipline s'inscrit donc, à son origine, dans le courant positiviste du comte de Saint-Simon et d’Auguste Comte.
Mais les problèmes auxquels s’intéresse la sociologie ont déjà fait l'objet de réflexions dans le champ de la philosophie. Le concept de société civile en tant que domaine distinct de l’État apparaît d’abord au XVIIe siècle dans les œuvres des philosophes Thomas Hobbes et John Locke, puis chez les penseurs français et écossais du XVIIIe siècle, le siècle des Lumières. On notera, en particulier, le rôle précurseur de la philosophie politique de Montesquieu et de Jean-Jacques Rousseau et l'incidence de la naissante économie politique avec des auteurs comme Adam Smith. L'idéalisme allemand, et notamment la philosophie de l'histoire de Hegel, préfigure également les orientations de la recherche sociologique.
Au XIXe siècle, et parallèlement à la dilatation de l'État moderne et au développement de son outil de représentation typique, la statistique, la réflexion sociologique prend un caractère plus systématique. Parallèlement au courant positiviste d’Auguste Comte et à l'organicisme du philosophe britannique Herbert Spencer, d'autres penseurs contribuent à l'essor de la discipline : Alexis de Tocqueville, John Stuart Mill et Karl Marx, entre autres. Karl Marx propose un cadre d'analyse du capitalisme occidental conçu comme un mode d'organisation des rapports sociaux. On voit s'annoncer dans ce siècle les préoccupations fondamentales de la sociologie classique : l'opposition entre la modernité et les formes traditionnelles d'organisation sociale, le sens du progrès et de l'évolution historique et, finalement, les décalages et les ajustements entre la vie subjective des individus, d'une part, et l'ordre matériel et social, d’autre part.
3.2La sociologie classique
En tant que discipline universitaire, la sociologie n’est reconnue qu’à partir des années 1880 et 1890. En France, Émile Durkheim commence alors à enseigner la sociologie dans les universités de Bordeaux et de Paris (il obtient en 1913 une chaire de sociologie à la Sorbonne) et fonde la première véritable école de pensée sociologique. Dans les Règles de la méthode sociologique (1895), Durkheim systématise la démarche sociologique et défend sa thèse principale : le social existe indépendamment de la conscience que nous pouvons en avoir et se définit comme un fait qui s'impose à nous. Il faut, par conséquent, « traiter les faits sociaux comme des choses ».
En Allemagne, la sociologie est officiellement reconnue comme discipline universitaire à partir de la première décennie du XXe siècle, grâce aux efforts de Max Weber. Alors qu’en France et dans les pays anglo-saxons la physique sert de modèle à la nouvelle discipline des sciences sociales, la sociologie allemande retient l’enseignement de Wilhelm Dilthey, qui sépare les « sciences de l’esprit » (Geisteswissenschaften) des « sciences de la nature » (Naturwissenschaften). La sociologie allemande s’inscrit ainsi dans le prolongement de l’école historique allemande.
Max Weber, auteur de Wirtschaft und Gesellschaft (Économie et Société, 1922) et de Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie (Sociologie des religions, 1920), est présenté souvent comme l'initiateur d'une sociologie de l'action et d'une sociologie compréhensive et interprétative, par opposition à une sociologie plus scientiste. Weber tente de comprendre l'évolution des formes d'organisation sociale en y décelant une tendance à la rationalisation. Il analyse les relations particulières entre ce processus de rationalisation et les différentes formes de vie religieuse comme, par exemple, dans le cas du capitalisme et de l'éthique protestante.
D'autres sociologues allemands comme Ferdinand Tönnies ou Georg Simmel, auteur de Philosophie des Geldes (Philosophie de l'argent, 1900), s'intéressent, dans la ligne de Weber, à la condition particulière des sociétés modernes. L'opposition entre tradition et modernité, ou entre communauté (Gemeinschaft) et société (Gesellschaft), est un thème classique de la sociologie de cette époque. Dans un sens similaire, Durkheim s'intéresse au changement des formes d'intégration morale, en analysant la différence entre solidarité « mécanique » et solidarité « organique ».
Le développement de la sociologie européenne dans la première moitié du XXe siècle s'organise donc autour de ces thèmes, reflets d’une époque mouvementée : fondement et crise des formes d'intégration sociale, rôle de l'État moderne et développement de la bureaucratie, portée et limites du capitalisme.
Aux États-Unis, le premier département de sociologie est créé à l’université de Chicago en 1893. La sociologie s'y développe avec une claire vocation appliquée et orientée à la réforme sociale. On assiste à la naissance de l'école de Chicago, souvent associée à « l'écologie urbaine » et à l'analyse des interdépendances entre les personnes et leur milieu. Les grandes enquêtes empiriques se développent et les premiers manuels systématiques de sociologie sont publiés.
Deux traditions sociologiques reconnues apparaissent dans le panorama sociologique nord-américain dans la première moitié du XXe siècle. D'une part l'interactionnisme symbolique, inspiré du philosophe George Herbert Mead et de la pragmatique anglo-saxonne, se propose de mettre en évidence le rôle fondamental des interactions entre les individus dans la formation des valeurs, du « moi » et de la société. D'autre part, apparaît le fonctionnalisme, dont on peut trouver les éléments majeurs chez Talcott Parsons, auteur de The Structure of Social Action (la Structure de l’action sociale, 1937), et chez Robert King Merton, auteur de Social Theory and Social Structure (1949, traduit en 1951 sous le titre Éléments de théorie et de méthode sociologique). Ces théories décrivent l'ordre social comme un mécanisme d'attribution de fonctions, de rôles et de valeurs.
3.3La sociologie contemporaine
Dans la seconde moitié du XXe siècle, la sociologie s’oriente vers l’étude de nouveaux objets. Elle trouve des domaines d'application de plus en plus institutionnalisés, comme les sondages d'opinion et les études de marché. Les compétences des sociologues trouvent des débouchés dans plusieurs domaines : dans la recherche académique, mais aussi dans le monde de l'entreprise (conseil, ressources humaines, marketing) et de l'administration (planification, éducation). La sociologie assiste aussi à une croissante diversité des démarches internes à la discipline. En raison de la diversité des domaines, des méthodes et des cadres conceptuels, elle devient un savoir hétérogène et une profession diversifiée.
Les courants fonctionnaliste et structuro-fonctionnaliste continuent de se développer en sociologie, après Talcott Parsons, mais aussi en anthropologie, sous l'inspiration des travaux de Bronislaw Malinowski et d’Alfred Reginald Radcliffe-Brown. La rencontre entre ces courants et d'autres sciences comme la cybernétique ou les sciences cognitives produit des développements novateurs : la théorie des systèmes sociaux du sociologue allemand Niklas Luhmann en est l'exemple majeur. D'autre part, et notamment aux États-Unis, l'influence du philosophe Karl Popper et de l'économiste Friedrich von Hayek oriente la sociologie vers un individualisme méthodologique qui s'oppose au « sociologisme » du fonctionnalisme et qui rejoint les points de vue de la science économique néoclassique. On notera, à ce titre, l'essor des théories du « choix rationnel » (rational choice) et l'importance d'auteurs comme James S. Coleman.
Par ailleurs, le structuralisme déploie une présence décisive dans la discipline, notamment en France, sous l'influence de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss et de son ouvrage Anthropologie structurale (1958) et du linguiste Ferdinand de Saussure. La méthode structuraliste vise à mettre en évidence des relations nécessaires entre les termes d'un système : un système de parenté, un récit mythique ou le système de la langue, par exemple. Une des caractéristiques notoires de cette approche est de rendre superflue, ou du moins problématique, l'analyse de l'action et des représentations concrètes des individus. Certains auteurs ont proposé des apports et des modifications à cette approche. C'est le cas du philosophe Louis Althusser, de Michel Foucault, auteur de les Mots et les Choses (1966), du psychanalyste Jacques Lacan ou du sémiologue Roland Barthes. Pierre Bourdieu entreprend, dans le Sens pratique (1980) notamment, une critique et une transformation de cette méthode pour formuler une nouvelle théorie de l'action. Ses travaux sont ainsi une tentative de dépasser les oppositions entre individualisme et structuralisme, ou entre objectivisme et subjectivisme. On trouve aussi, dans une autre référence clé de la sociologie contemporaine, la théorie de la structuration sociale exposée par Anthony Giddens dans The Constitution of Society (la Constitution de la société, 1984), une tentative novatrice de surmonter les impasses théoriques de la discipline.
La sociologie critique et le marxisme jouent aussi un rôle important dans la seconde moitié du siècle. L'école de Francfort rassemble les travaux de plusieurs auteurs qui, influencés par le marxisme et par la psychanalyse freudienne, développent une interprétation de la culture moderne particulièrement critique. Theodor Adorno et Max Horkheimer en sont les représentants les plus importants. Jürgen Habermas, auteur de Theorie des Kommunikativen Handelns (Théorie de l'agir communicationnel, 1981) et représentant capital de la sociologie contemporaine, a été longtemps présenté comme le continuateur de cette école.
À un niveau d'analyse moins général et plus proche de la psychologie sociale, l'interactionnisme symbolique se développe notamment grâce aux travaux d’Erving Goffman, auteur de The Presentation of Self in Every Day Life (la Présentation de soi dans la vie quotidienne, 1969). L'influence d'auteurs comme Georg Simmel contribue à ce mouvement. Toujours dans une perspective microsociologique se développe aussi l'ethnométhodologie, issue de la phénoménologie et inspirée d'Alfred Schutz. Les travaux d’Harold Garfinkel, que l'on peut lire dans Studies in Ethnomethodology (Études d'ethnométhodologie, 1967), sont la référence la plus importante de ce courant. On retrouve aussi la perspective phénoménologique dans The Social Construction of Reality (la Construction sociale de la réalité, 1966) de Peter Berger et Thomas Luckman, ouvrage qui a contribué à élargir la portée de la sociologie.
En France, parmi les noms qui ont le plus marqué la sociologie depuis les années soixante, il faut souligner ceux d'Alain Touraine, de Raymond Aron, de Georges Friedmann, de Pierre Naville, de Michel Crozier, de Henri Mendras, de Raymond Boudon, de Pierre Bourdieu, de Luc Boltanski et de Bruno Latour.
4LES DOMAINES D’ÉTUDES DE LA SOCIOLOGIE
Il est possible d'identifier un certain nombre de sous-disciplines de la sociologie en fonction du domaine de recherche. En dépit de l'hétérogénéité de la formation sociologique, ces sous-disciplines correspondent normalement à des enseignements spécifiques.
La structure sociale demeure l'objet privilégié d'une sociologie plus « pure ». L'étude des différences et des inégalités sociales requiert souvent un travail quantitatif et statistique. La sociologie de l'éducation et la sociologie de la famille peuvent, de leur côté, se rattacher à ce courant général. Elles aborderont des sujets comme les inégalités d'opportunité des jeunes face au monde du travail, le problème du logement ou la régularité statistique des choix de mariage. L'étude sur le système d'éducation la Reproduction (1970) de Pierre Bourdieu est un exemple, maintenant classique, de ce type de recherches sur les inégalités sociales. La sociologie urbaine et la sociologie rurale s'intéresseront aussi à ce genre de problèmes, en insistant sur la dimension géographique (migrations, organisation de l'espace urbain). La sociologie rejoint ainsi quelques thèmes de la démographie : cette science (étude de la dimension, de l’évolution et de la structure des populations humaines) est considérée parfois comme un domaine de la sociologie. La sociologie de la déviance, qui garde un certain rapport avec la criminologie, étudie de son côté les comportements qui se situent en marge des normes sociales.
La sociologie industrielle s'occupe de l'organisation des processus de production. Originellement, elle s'attaquait aux problèmes suscités par le développement, phénoménal à l'époque, des usines modernes, en essayant de dépasser les préceptes du taylorisme. Elle a connu un grand essor aux États-Unis dans les années trente et quarante. Cette sous-discipline partage son domaine d'études avec deux autres branches de la sociologie : la sociologie des organisations et la sociologie du travail. La première aborde, par exemple, les formes de hiérarchies et de pouvoir ou les processus de changement dans les organisations des entreprises, mais aussi des administrations publiques ou d'autres types d'organisations. En France, l'ouvrage l'Acteur et le Système (1977) de Michel Crozier et Erhard Friedberg est une bonne illustration de ce courant. La sociologie du travail s'attaque, de son côté, aux problèmes des conditions de travail. On notera, par exemple, l'ouvrage Traité de sociologie du travail (1962) de Pierre Naville et de Georges Friedmann. Ces disciplines pourront trouver une dimension appliquée dans la gestion de ressources humaines ou dans le dialogue avec l'ingénierie ou l'ergonomie.
La sociologie économique observe, quant à elle, l'organisation et l'évolution des activités marchandes. Aux États-Unis, les études de Harrison White et de Mark Granovetter ont contribué à l'essor de cette sous-discipline. Par ailleurs, l'influence de l'anthropologie et d'auteurs comme le Français Marcel Mauss se fait sentir aussi dans l'analyse de systèmes d'échanges non marchands.
La sociologie politique aborde les phénomènes de pouvoir dans la sphère politique. Elle s'intéresse à des problèmes comme l'organisation des partis politiques et des systèmes démocratiques, les crises politiques et les révolutions, les relations internationales ou la culture politique d'une population. Elle partage certains domaines d'études avec d'autres disciplines, comme les sciences politiques, les sciences de l'administration ou la sociologie du droit.
La sociologie de la culture entretient des liens très étroits avec l'anthropologie et l'ethnographie. Elle s'intéresse, par exemple, aux goûts vestimentaires, gastronomiques ou artistiques d'une population. Elle s'oriente aussi vers l'étude de cultures non occidentales. L'étude des rituels et des pratiques qui ont un rôle d'intégration morale est un terrain qu’elle partage avec la sociologie de la religion, qui analyse les croyances religieuses et ses corrélats sociaux et institutionnels. Récemment se développent aussi des domaines comme la sociologie du genre (avec l'apport des théories féministes) ou la sociologie des minorités (ethniques ou politiques, par exemple).
La sociologie de la connaissance aborde l'étude des idéologies et des représentations collectives. Récemment, la sociologie des sciences et des techniques s'est dotée des instruments pour analyser aussi la production de connaissances scientifiques, comme dans l'ouvrage Science in action (1987) de Bruno Latour.
La communication humaine fait l'objet d'études en sociolinguistique et en sociologie de la communication. Cette dernière s'occupe notamment de l'étude des médias. Les nouvelles technologies d'information et de communication, telles qu’Internet, constituent un objet d'étude de plus en plus important en sociologie.
La sociologie historique, souvent fortement influencée par la pensée de Marx et de Weber, mais également d’historiens français comme Fernand Braudel, s’est considérablement développée au cours de ces dernières années, notamment aux États-Unis sous l’influence de Charles Tilly et d’Emmanuel Wallerstein. Les frontières, autrefois bien distinctes, entre histoire et sociologie se sont déplacées grâce aux travaux du sociologue allemand Norbert Elias, qui a invité à saisir systématiquement l’élaboration des phénomènes sociaux dans leur perspective historique. Des domaines tels que l’histoire sociale, l’évolution démographique, l’économie et le développement politique ont été particulièrement influencés par ces nouvelles perspectives.
Au carrefour entre la sociologie et la psychologie se situe le domaine de la psychologie sociale. Elle étudie, surtout dans ses versions américaines, les interactions dans des groupes réduits, les croyances et les attitudes caractéristiques d’une population, ainsi que la formation du caractère et de la vision du monde sous l’influence de la famille, des cercles d’amis, de l’école et d’autres lieux de socialisation (la psychologie sociale rejoint ici la sociologie de la connaissance). En Europe, Serge Moscovici a joué un rôle notoire dans le développement de ce domaine d'études. Par ailleurs, la psychologie sociale s’est inspirée des thèses de la psychanalyse et, plus récemment, des recherches en sciences cognitives.
5MÉTHODES DE RECHERCHE
Les sociologues utilisent presque tous les méthodes de collecte d’informations que les autres sciences sociales exploitent, depuis les statistiques mathématiques jusqu’à la critique des sources écrites ou orales. Aussi s’appuient-ils, dans une large mesure, sur les recensements, les statistiques démographiques, les chiffres du chômage, de l’immigration, les données relatives à la criminalité et à d’autres phénomènes sociaux, autant d’informations recueillies régulièrement par les pouvoirs publics.
La distinction entre techniques qualitatives et techniques quantitatives est quelque peu arbitraire, et parfois déroutante, mais elle est usuellement utilisée pour classer les différentes méthodes de recherche. Notons que les résultats d'une démarche qualitative peuvent faire l'objet d'une exploitation quantitative, et qu'une recherche quantitative peut, à son tour, faire intervenir des sources qualitatives.
5.1Techniques qualitatives
L’observation directe de certains aspects de la société se pratique depuis longtemps dans le domaine de la recherche sociologique. Les travaux de Harold Garfinkel ou d'Erving Goffman ont fourni à la fois des modèles et des théories de l’enquête d'observation sur le terrain. Dans certains cas, il peut s'agir d'observation participante, en s’intégrant temporairement au sein du groupe étudié : Goffman a ainsi vécu plusieurs mois au sein d’un hôpital psychiatrique afin de rendre compte de la manière dont les malades mentaux s’efforcent de préserver leur identité sociale au sein d’une institution. Le chercheur peut, en plus du carnet de notes classique, utiliser des magnétophones ou des caméras vidéo pour saisir les individus en interaction sociale.
Le chercheur peut recueillir aussi des informations de première main auprès d'informateurs. Cette méthode est également utilisée par les anthropologues ou par les ethnologues. Il peut s'agir d'entretiens individuels, mais parfois également d'entretiens de groupe. L'entretien peut être directif (avec un protocole de questions préétabli), semi-directif (réponses ouvertes) ou non directif (en laissant place aux digressions et à la conversation spontanée). Ces méthodes qualitatives peuvent prendre des formes plus spécifiques, comme dans le cas des histoires de vie.
Les sociologues, comme les historiens, font également un usage intensif des informations indirectes. Il s’agit, en général, de diverses sortes de documents : des récits de vie, des rapports cliniques ou judiciaires, des documents personnels, des sources journalistiques ou d'autres sources publiées. Le chercheur peut réaliser une analyse de contenu de ce genre de corpus. Dans certains cas, cette analyse pourra avoir une dimension quantitative, et comporter l'utilisation de logiciels d'analyse de textes.
5.2Techniques quantitatives
Les méthodes quantitatives englobent la présentation d’une grande quantité de données statistiques descriptives, des techniques d’échantillonnage et l’utilisation de modèles mathématiques, ainsi que des simulations informatiques des phénomènes sociaux. L’analyse quantitative permet d’établir des relations entre variables sociales et apparaît comme un moyen efficace de tester certaines hypothèses de recherche en établissant notamment des relations de causalité, en particulier dans l’analyse de la mobilité et de l’ascension sociales. L'analyse statistique du matériel sociologique peut devenir assez sophistiquée, comme dans le cas de l'analyse factorielle des correspondances ou de l'analyse de réseaux. Elle peut nécessiter l'assistance de logiciels spécifiques. C'est le cas du logiciel SPSS, amplement utilisé dans la profession.
Le terme « enquête » désigne à la fois la réalisation d’entretiens non directifs et la collecte et l’analyse des réponses recueillies par questionnaire auprès de larges échantillons de la population. Pendant les années quarante et cinquante, les méthodes statistiques servant à classifier et à interpréter les résultats obtenus lors des enquêtes ont été un temps considérées comme la principale technique de recherche sociologique. Pratiqués pour la première fois dans les années trente aux États-Unis, les sondages d’opinion, en particulier les sondages préélectoraux et les études de marché, sont aujourd’hui les outils classiques des politiciens ainsi que des nombreuses organisations et entreprises concernées par l’opinion publique.
Dans presque tous les domaines spécifiques de la sociologie, les enquêtes sont utilisées à des fins universitaires ou scientifiques, mais elles servent le plus souvent à l’étude du comportement des électeurs, des phénomènes d'opinion ou des réactions aux médias. L’enquête est un instrument de recherche sociologique irremplaçable, cependant on a souvent souligné son efficacité limitée dans de nombreux domaines. Alors que l’observation permet au sociologue de collecter des informations sur un groupe d’individus spécifique, l’enquête par sondage fournit des informations concernant une plus grande portion de la population. En général, l’enquête ne tient pas compte de la structure complexe des relations et des interactions des individus qui déterminent leur comportement social.

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