Alexis de Tocqueville
1PRÉSENTATION
Alexis de Tocqueville (1805-1859), homme politique, sociologue et historien français, auteur de De la démocratie en Amérique.
Sa vie et son œuvre font d’Alexis de Tocqueville l’un des auteurs les plus représentatifs de toute une génération de penseurs à la charnière de l’Ancien Régime et de la France postrévolutionnaire.
2UN PENSEUR À LA CHARNIÈRE DE DEUX ÉPOQUES
Par ses origines familiales, Tocqueville incarne un monde en train de disparaître : il est issu d’une famille de très ancienne noblesse normande, les Clérel de Tocqueville, qui compte dans ses rangs Malesherbes, l’avocat de Louis XVI. Pour cette seule raison, son père est emprisonné sous la Terreur et échappe de peu à la guillotine.
Par ses travaux ultérieurs, Tocqueville apparaît au contraire tout particulièrement concerné par la « révolution démocratique » que connaît alors la France. Loin de se réfugier dans la nostalgie de l’Ancien Régime, Tocqueville se veut l’analyste des changements sociaux qui se déroulent sous ses yeux. En 1831-1832, il décide de partir à la découverte des États-Unis qui, selon lui, offrent l’image de ce vers quoi tendent les pays européens. À son retour, il publie De la démocratie en Amérique (1835-1840), réflexion tout à la fois sociologique et politique sur les particularités américaines et le bénéfice que tirerait la France à s’inspirer des institutions de ce pays. L’immense retentissement de cet ouvrage lui vaut d’être élu à trente-trois ans à l’Académie des sciences morales et politiques puis, en 1841, à l’Académie française (voir Institut de France).
3UN PENSEUR ENGAGÉ POLITIQUEMENT
Son souci du devenir de la France le conduit bientôt à préciser son engagement politique : élu à la Chambre député du département de la Manche (1839-1848), Tocqueville défend un certain nombre de réformes comme la décentralisation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire. En 1849, il devient vice-président de l’Assemblée nationale, puis ministre des Affaires étrangères. Son opposition au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte en 1851 l’oblige à se retirer de la vie politique. Il profite alors de cette retraite forcée pour rédiger son deuxième grand ouvrage : l’Ancien Régime et la Révolution (1856) où il s’interroge sur les causes de la Révolution française. Il est ainsi, avec Guizot, parmi les premiers auteurs du XIXe siècle à proposer une analyse dépassionnée de cette période. Mais sa mort en 1859 l’empêche de donner à cet ouvrage la suite escomptée.
4DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
Pour trois raisons au moins, De la démocratie en Amérique peut être considéré comme un ouvrage majeur de sociologie politique. C’est l’un des premiers ouvrages à s’intéresser au « mouvement d’égalisation des conditions » (Tocqueville) qui caractérise nos sociétés. Selon Tocqueville, en effet, l’époque contemporaine se distingue par un mouvement inéluctable de « moyennisation ». Aux sociétés de type aristocratique du passé, Tocqueville oppose les sociétés démocratiques de demain. Les États-Unis offriraient l’exemple du pays où ces évolutions seraient les plus abouties. Tocqueville a pu apparaître ainsi comme le prophète des sociétés contemporaines, où les différences de classe iraient s’atténuant et où les couches moyennes seraient de plus en plus nombreuses.
Mais Tocqueville ne se limite pas à ce simple constat. Il cherche également à dégager les principales conséquences, et plus particulièrement les dangers, de ce mouvement inéluctable d’égalisation des conditions. Celui-ci, si l’on en croit ce que l’on peut voir aux États-Unis, comporte un risque : la privation de liberté, menacée tout à la fois par la tyrannie de la majorité, la dictature de l’opinion et la centralisation des pouvoirs. Tocqueville établit ainsi une distinction fondamentale entre la démocratie définie comme un état social, partagé par tous les pays occidentaux, et la démocratie comme état politique, qui est loin d’être acquise. Or la liberté politique est à ses yeux la valeur noble par excellence. Comment la garantir ? La décentralisation, la séparation des pouvoirs, l’existence de contre-pouvoirs comme la presse ou les associations... sont quelques-unes des solutions retenues par Tocqueville. Le troisième intérêt de Tocqueville réside dans la modernité de sa méthode d’analyse : sociologie comparative reposant sur une étude des valeurs et des représentations des acteurs sociaux, l’œuvre de Tocqueville se refuse à tout déterminisme. Il s’attache à montrer la diversité des devenirs des sociétés démocratiques qui peuvent évoluer soit vers la tyrannie (la France de la Terreur), soit vers une véritable démocratie politique (les États-Unis).
5L’ANCIEN RÉGIME ET LA RÉVOLUTION
La particularité française est justement l’objet du deuxième grand livre de Tocqueville, l’Ancien Régime et la Révolution, publié en 1856. D’après lui, la Révolution française trouve ses origines dans les tensions entre une société qui, dès avant 1789, tendait à l’indifférenciation sociale et un droit qui, au contraire, demeurait profondément inégalitaire. À la fin de l’Ancien Régime, les hommes des classes supérieures étaient de plus en plus semblables par leur mode de vie, mais ils différaient par leurs droits. La Révolution fut une manière brutale d’adapter le droit aux mœurs.
L’Ancien Régime et la Révolution propose ainsi moins un récit des événements révolutionnaires qu’une théorie générale du changement social. C’est pour cette raison que Tocqueville est considéré davantage comme un sociologue que comme un historien. On retrouve dans son étude de la Révolution le souci d’exactitude documentaire et la méthode comparative déjà présents dans De la démocratie en Amérique. À l’enquête sur le terrain s’est substitué le travail d’archives, mais, dans les deux ouvrages, on retrouve cette volonté d’aller au plus près des faits. Quant à la méthode, c’est en comparant la situation française à celle des autres pays européens que l’auteur parvient à dégager les particularités de l’histoire politique française qui ont abouti à cet événement spécifique qu’a été la Révolution française.