Histoire des femmes
1 PRÉSENTATION
Histoire des femmes, champ d’études menées depuis quelques décennies par les historiens des mentalités. Cet intérêt récent pour l’histoire des femmes semble être le signe des profonds bouleversements qui affectent la société contemporaine.
2 UNE LONGUE HISTOIRE DU REGARD MASCULIN
En retraçant l’histoire des femmes, de l’Antiquité à nos jours, émerge souvent le sentiment que toute évolution de la condition et du statut social de la femme est dépendante de l’image que l’homme a de son homologue féminin. Certes, en fonction des civilisations, des religions, des contextes culturels apparaissent des changements dans les manières d’imposer à la femme des devoirs mais, globalement, il s’agit bien d’une histoire des contraintes imposées par les hommes.
Jusqu’à une époque récente, les sources émanant directement des femmes sont rares. Cette quasi-absence de paroles et d’écrits féminins, s’ajoutant au confinement de la femme dans la sphère du privé, explique la grande difficulté à élaborer une histoire des femmes. Il reste à la disposition de l’historien une profusion d’images — souvent misogynes ou allégoriques — émises par les hommes : des déesses de l’Antiquité (Aphrodite, Athéna, Diane, etc.) à une Jeanne d’Arc ou une Marianne incarnant la patrie ou la République française, en passant par les personnages bibliques féminins (Ève, Marie, Marie Madeleine ou Salomé) ; autant de représentations féminines fortement contrastées qui ont, au cours de l’histoire, attiré offrandes et prières, ou sarcasmes et répulsion. Cette ambivalence de l’image du « sexe faible » (tardivement désigné « deuxième sexe »), dans la société occidentale chrétienne, s’explique en grande partie par le fait que la femme est, simultanément, la cause du péché originel (la faute commise par Ève) et celle du salut de l’humanité (la maternité de la Vierge Marie).
Relater l’histoire des femmes, c’est donc souvent se limiter à construire une histoire des regards que les hommes ont portés sur elles, une histoire des rapports de sexes. Dans sa représentation des femmes, l’homme donne libre cours à ses fantasmes et dévoile les critères — évolutifs — de la beauté féminine : ainsi, au Moyen Âge, la belle femme noble a la peau blanche, symbole de pureté et de virginité (pâleur aristocratique de celles que le soleil des travaux agricoles ne brûle pas, que la sueur des tâches manuelles ne salit pas), les hanches étroites et les seins menus. À partir de la fin du XVe siècle et jusqu’au XVIIIe siècle, le corps de la femme est valorisé lorsqu’il offre au regard des formes généreuses, des hanches larges, des décolletés laissant entrevoir une poitrine imposante. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle et surtout le romantisme pour que le corps s’amincisse et que le teint s’éclaircisse à nouveau, puis le XXe siècle pour que la femme se libère enfin des tenues encombrantes, des corsets et des bas que la tradition vestimentaire lui a imposés.
3 LES FEMMES DANS L’ANTIQUITÉ
Jusqu’à ce que l’homme comprenne son propre rôle dans la procréation, les sociétés préhistoriques (mais également une certaine mythologie) sont essentiellement matriarcales : la femme est précieuse, car fragilisée par l’enfantement. Ce n’est qu’au début de l’Antiquité que l’homme s’arroge le pouvoir social.
3.1 Une matrice non citoyenne
Dès la plus haute Antiquité, la femme est déclarée mineure vis-à-vis de la loi ; elle ne possède aucun droit civique. Pour le législateur grec ou romain, sa faiblesse d’esprit (imbecillitas mentis à Rome) légitime ses incapacités juridiques : c’est l’homme qui possède la puissance paternelle (patria potestas). De même, elle ne peut participer à la vie de la cité : l’Athénienne doit sortir du foyer accompagnée d’une esclave et ne peut assister ni aux jeux, ni aux représentations théâtrales ; la Spartiate bénéficie de quelques libertés, lesquelles se limitent pourtant à concourir dans des jeux qui lui sont réservés ; pas plus citoyenne que ses congénères, la Romaine a toutefois le droit de se rendre seule dans les lieux publics ou aux grandes fêtes comme les panathénées. Signe du désintérêt pour la femme, à Rome, seules les héritières sont recensées et il faut attendre le IIIe siècle apr. J.-C. pour que l’empereur Dioclétien tente, pour des raisons fiscales, de les inclure dans les dénombrements. Cependant, il existe quelques rares exemples de femmes qui jouissent de droits durant l’Antiquité ; c’est le cas de la poétesse Sappho, dont l’influence intellectuelle est majeure dans le monde grec du VIIe siècle av. J.-C. ; c’est également le cas de Cléopâtre qui règne seule sur le royaume Lagide au Ier siècle avant notre ère.
Mais plus généralement, la femme antique, incapable juridiquement, est d’abord et avant tout une matrice (venter) qui donne un héritier à la famille. C’est pourquoi elle passe de la dépendance de son père à celle de son mari, changement qui s’opère souvent à un âge très précoce (quinze ans en moyenne, sachant que certaines peuvent se marier dès l’âge de douze ans). Sous la domination romaine, le mariage revêt deux formes qui traduisent encore la minorité civique de la femme : cette dernière peut être sous l’autorité exclusive de son mari (cum manu) ou sous la tutelle de sa propre famille (sin manu). Plus précises encore, les lois matrimoniales d’Auguste du début du Ier siècle apr. J.-C., reprises et commentées tout au long de l’Empire romain, fixent à vingt ans l’âge maximum de la première maternité (et à vingt-cinq ans celui de la première paternité).
3.2 Une prêtresse
Les femmes peuvent cependant jouer un rôle non négligeable dans la cité, en servant de prêtresses ; c’est le cas de la Pythie de Delphes et des vestales à Rome. Fonction proprement féminine, la prêtrise est déléguée aux femmes par crainte du danger que représente le contact avec le sacré. Les hommes ont souvent recours au savoir de ces prêtresses pour leur commander des prophéties — comme la stratégie à adopter pour une bataille prochaine — qui leur permettent de conforter et reproduire le pouvoir masculin.
La condition liminaire à la prophétie est la pureté, l’innocence. Comme dans le cas des vierges saintes de la chrétienté, le divin s’exprime par la voix de la femme ou de la jeune fille antiques à condition que ces dernières soient pures et se gardent de tout commerce charnel. La sauvegarde de la virginité est donc le prix à payer pour conserver cette parcelle de pouvoir.
4 LES FEMMES CHRÉTIENNES À L’ÉPOQUE MÉDIÉVALE ET MODERNE
4.1 L’image d’Ève
Du Bas-Empire au XVIIIe siècle, l’image d’Ève s’impose dans les mentalités. Ainsi au début du IIIe siècle, l’écrivain Tertullien, dans un traité intitulé la Toilette des femmes, rappelle à celles-ci la Genèse : « Tu enfantes dans les douleurs et les angoisses, femme ; tu subis l’attirance de ton mari et il est ton maître. Et tu ignores qu’Ève c’est toi ? Elle vit encore en ce monde, la sentence de Dieu contre ton sexe. Vis donc, il le faut, en accusée. C’est toi la part du Diable. C’est toi qui as brisé le sceau de l’Arbre ; c’est toi qui, la première, as déserté la loi divine… ». Des propos semblables sont inlassablement répétés sous l’Ancien Régime pour rappeler à la femme qu’elle est la cause du péché originel et qu’elle doit être soumise à l’autorité masculine, l’homme ayant été créé le premier par Dieu et, de surcroît, à son image ; c’est à partir du XIe siècle que les clercs condensent et trahissent le texte biblique en faisant surgir la femme directement du flanc d’Adam.
Dans un tel système de pensée, seules les vierges, les veuves et les saintes sont véritablement valorisées et cette triade de modèles féminins est largement diffusée par la pastorale des frères dominicains et franciscains. Puis, à partir des XIIe-XIIIe siècles — avec l’émergence de la figure de Madeleine qui a su racheter son passé de pécheresse —, la bonne épouse et mère — celle qui respecte les interdits sexuels imposés par l’Église, qui procrée dans le mariage, qui accouche dans la douleur, qui allaite et éduque consciencieusement ses enfants — assure son salut.
4.2 Se taire dans les assemblées
La femme chrétienne demeure exclue du champ du politique et tous les auteurs médiévaux et modernes défendent cette pensée de saint Paul : « Que les femmes se taisent dans les assemblées ». La loi salique, excluant les femmes de la succession au trône, est l’expression la plus remarquable de son rejet et son application dans le royaume de France, la preuve du refus de son immixtion dans les affaires politiques. En 1586 encore, le juriste Jean Bodin s’exprime sur le statut de la femme dans ses Six Livres de la République : « Quant à l’ordre et à la condition des femmes, je ne veux pas m’en mêler. Je pense simplement qu’elles doivent être tenues à l’écart de toute magistrature, poste de commandement, tribunal, assemblées publiques et conseils, de sorte qu’elles puissent accorder toute leur attention à leurs tâches féminines et domestiques. »
D’ailleurs, avant les XVIIe-XVIIIe siècles, rares sont les femmes qui prennent effectivement la parole ou la plume : Hildegard von Bingen, Marie de France, Christine de Pisan ou Louise Labé demeurent des exceptions ; femmes de lettres, elles défendent néanmoins bien souvent les valeurs culturelles médiévales, lesquelles sont essentiellement masculines.
Les seules femmes à véritablement exercer un (certain) pouvoir sous l’Ancien Régime sont les reines et les régentes, même si le pouvoir d’une reine relève plus de l’influence que de l’intervention directe, et les périodes de régence sont souvent propices aux révoltes nobiliaires. Les veuves, quant à elles, peuvent gérer l’entreprise du mari décédé et sont également valorisées dans le discours chrétien, car elles entretiennent la mémoire de leur défunt, en adressant des prières pour son âme, mais surtout parce qu’elles sont revenues à l’état de chasteté loué par l’Église. Toutefois, dans le même temps — et on retrouve le regard ambigu que les hommes portent sur les femmes —, la vieille femme qui prend facilement la parole, qui affirme une certaine autorité, qui détien(drai)t des secrets « de bonnes femmes », attire la défiance ; c’est l’image populaire de la jeteuse de sorts, de la magicienne, de la sorcière ; c’est également la figure littéraire de la Célestine — célèbre entremetteuse de la pièce de l’Espagnol Fernando de Rojas, la Tragi-comédie de Calixte et de Mélibée (1499) — qui s’impose rapidement dans l’Europe du XVIe siècle.
Pourtant, même si les cas restent rares, certaines femmes assistent aux assemblées de village, voire aux assemblées provinciales (uniquement pour les abbesses et les détentrices de fiefs) et peuvent même élire les députés des états généraux. On sait, par exemple, à travers la correspondance qu’elle entretient avec sa fille, que Mme de Sévigné a assisté à une session des États de Bretagne en août 1671 à Vitré, non loin d’une propriété héritée de son mari.
4.3 Une bonne épouse et une bonne mère
Privée de droits, la femme doit donc rester dans la maison et se préparer dès l’enfance à assurer ses fonctions domestiques. C’est au sein du foyer qu’elle a un rôle à tenir, en premier lieu celui de servir son mari, d’être une épouse modèle. La majorité des conseils adressés par les pédagogues médiévaux aux jeunes filles ou aux femmes a pour objectif de leur apprendre à se bien comporter dans leur ménage et à rester soumises à leur mari. Ainsi, l’Église propose à la femme mariée le modèle scripturaire de Sara (Livre de Tobie, 10), bonne épouse, qui aime son mari et honore ses beaux-parents ; discours idéologique qui vise à préserver l’ordre social cimenté par les liens sacramentels et vassaliques.
La femme doit aussi être une bonne mère, enseigner la foi chrétienne à ses enfants et leur montrer un exemple de vie soumise à l’homme. Car, même si dans les riches milieux urbains la mise en nourrice est une pratique courante, la première éducation revient bien souvent à la mère : c’est elle qui doit instruire ses enfants dans la foi chrétienne, ce à quoi veille l’Église. Aussi, afin d’éviter paganisme, hérésies et sorcellerie à venir chez la femme dont la société se méfie toujours, les jeunes filles reçoivent-elles un rudiment d’éducation dispensée par l’Église.
Cette définition de la femme par ses devoirs d’épouse et de mère a la vie longue. En 1762, Jean-Jacques Rousseau écrit encore, dans l’Émile ou De l’éducation (Livre V), que « plaire aux hommes, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce, voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès l’enfance ».
Épouses et mères modèles, les femmes doivent également savoir gérer la maison, parfois le domaine, et traiter une affaire avec un homme de loi ; au milieu du XVe siècle, Margaret Paston, en raison des fréquentes absences de son mari — homme de loi souvent à Londres —, ne se contente pas d’élever ses quatre fils et ses deux filles, mais se charge également de la gestion du domaine. De fait, toutes les femmes du peuple travaillent aussi hors du foyer, mais cette activité annexe est plutôt considérée comme une assistance à l’époux ; il en est ainsi des femmes de paysans, d’artisans et de petits commerçants. Néanmoins, lavandières et servantes (pour ne citer qu’elles) ont une activité extérieure à leur foyer qui est socialement reconnue ; ce qui n’est pas le cas de la prostituée.
4.4 Humilité et maintien du corps
Dans les traités de pédagogie de l’Ancien Régime, un second genre de conseils adressés à la femme concerne la manière de se vêtir et de se comporter en société. À partir de la fin du Moyen Âge, outre les principes que la pudeur commence à imposer, les moralistes condamnent les excès somptuaires et vestimentaires, dénonçant en particulier les cornes ou autres hautes coiffures et les traînes. Si le fard est interdit durant la période médiévale — car on ne doit pas chercher à modifier le visage (miroir de l’âme) donné par Dieu —, il est plutôt conseillé à l’époque moderne et apparaît comme un signe de distinction sociale. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que l’on revienne à une conception « médiévale » dans ce domaine, nouvelle esthétique féminine qui annonce le romantisme : la femme doit être plus proche de la nature et il n’est pas nécessaire que les cosmétiques cachent le corps.
La femme doit également, en particulier au Moyen Âge, savoir dompter son corps : ne jamais regarder un homme dans les yeux, baisser la tête, ne pas la remuer, avoir un usage modéré de la parole et rester humble dans tous ses gestes.
5 LES FEMMES CONTEMPORAINES
À la fin de l’époque moderne, en grande partie à cause de la déchristianisation de la société, de lentes évolutions modifient la vie quotidienne comme l’image de la femme ; après avoir été confiné dans une simple étude du regard que les hommes ont porté sur les femmes, l’historien peut désormais dresser une histoire concrète de la vie des femmes.
5.1 La promotion de la femme par le travail et l’instruction
Afin de s’insérer dans la vie publique, les femmes participent, surtout au XIXe siècle, aux œuvres d’assistance et de charité (dames patronnesses), et d’éducation (infant schools anglaises et salles d’asiles en France). De même apparaissent dès le XVIIIe siècle les premières femmes journalistes : la Française Marie Jeanne l’Héritier publie au début du XVIIIe siècle ; en 1759 naît le Journal des dames, périodique écrit par et pour des femmes, qui paraît pendant près de vingt ans.
Avec les changements économiques et techniques liés à la première révolution industrielle (le machinisme nécessite de moindres capacités physiques), les femmes sortent de la maison et intègrent, timidement d’abord puis de manière plus affirmée, le monde économique. En France, en 1866, 1 269 700 femmes travaillent dans l’industrie (30 p. 100 de la main-d’œuvre totale), essentiellement dans les entreprises textiles et alimentaires. Au XXe siècle, la Première Guerre mondiale et, dans une moindre mesure, la Seconde jouent un rôle important dans cette promotion ; entre 1914 et 1918, 8 millions de Français (soit plus de 60 p. 100 des actifs) et 13 millions d’Allemands sont mobilisés, ce qui permet aux femmes de démontrer leur capacité à remplacer efficacement les hommes : ouvrières dans les usines, conductrices d’autobus, chefs d’exploitation, mais aussi simples chefs de famille. À la fin de l’année 1917, les Françaises représentent 40 p. 100 du personnel de l’industrie et du commerce.
Mais l’inégalité professionnelle et salariale reste la norme, et les femmes perçoivent en moyenne une rémunération deux fois inférieure à celle des hommes. À la fin du XIXe siècle, le directeur d’une usine de papier des États-Unis explique ainsi sa politique d’embauche : « Afin d’éviter que soient négligés les enfants de nos foyers, nous n’employons aucune mère de jeunes enfants pour nos travaux, à l’exception des veuves, des femmes abandonnées par leurs maris, ou dont les maris sont dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins » ; la vie de famille et l’assistance sont alors prioritaires au regard d’une quelconque émancipation féminine par le travail.
Concernant le droit à l’instruction, on retrouve cette même discrimination : l’accès à l’enseignement reste limité pour les femmes. En France, il faut attendre les lois Falloux (1850) et Duruy (1867) pour que toute commune de plus de 500 habitants soit tenue d’ouvrir une école primaire de filles ; l’identité des enseignements entre garçons et filles n’est proclamée qu’en 1925 et les écoles et pensions, créées sur tout le territoire, ne sont pas encore mixtes. Les établissements féminins ont toujours pour objectif d’inculquer à la jeune fille un code de bonne conduite afin qu’elle puisse, plus tard, participer à la reproduction des modèles familiaux et sociaux.
5.2 Féminisme et réductions des inégalités entre les hommes et les femmes
Au XVIIe siècle, de rares et timides discours se font entendre sur l’égalité entre hommes et femmes : en 1622 par exemple, Mme de Gournay écrit l’Égalité des hommes et des femmes. La diffusion de ces idées ne se fait pourtant guère avant les temps révolutionnaires. Ainsi, la Révolution française permet une première remise en cause de l’inégalité séculaire entre les sexes : en 1791, Olympe de Gouges revendique l’extension aux femmes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, alors que Condorcet vient de s’écrier qu’« il n’y a entre les deux sexes aucune différence qui ne soit l’ouvrage de l’éducation » (1787). Et, d’une manière plus générale, les femmes participent largement aux mouvements révolutionnaires et sociaux : des sans-culottes féminines de 1789 aux deux figures symbolisant à la fois la libération de la femme et de l’homme, Louise Michel et Rosa Luxemburg.
Effectivement, dans la seconde moitié du XIXe siècle, se développe le mouvement féministe en même temps que les idéologies socialiste et marxiste. Ce mouvement s’exprime dans des journaux, tel le Englishwomans’ Journal créé dès 1859, et s’incarne dans des figures telles celles de la Française Flora Tristan, des Anglaises Harriet Martineau (1802-1876) et Olive Schreiner (1855-1920) ou de la Suisse Meta von Salis-Marschlins (1855-1929). Les féministes revendiquent l’indépendance conjugale, les mêmes droits civiques que les hommes, les mêmes droits à l’éducation et à la formation, le droit d’être maître(sse) de leur corps, l’égalité des salaires, leur participation à la vie politique et syndicale. Les femmes prennent de plus en plus souvent la parole pour affirmer leurs différences par rapport aux hommes. D’abord confinées à des genres littéraires qui gardent un caractère privé (journaux intimes ou correspondances), elles s’imposent progressivement comme grandes écrivains (George Sand ou Colette), rédigeant parfois des ouvrages profondément engagés, telles Virginia Woolf (A Room of One’s Own, 1929), Simone de Beauvoir (le Deuxième Sexe, 1949) ou Betty Friedan (The Feminine Mystique, 1963).
Le développement du thème de la « garçonne » au cours des Années folles rend compte de cette émancipation. Cette nouvelle femme aux mœurs et à l’allure viriles est décrite par Victor Margueritte en 1922 dans son roman du même nom ; le succès de la publication est immédiat, même si l’auteur se voit radié de la Légion d’honneur l’année suivante — signe d’une résistance masculine quasi unanime. De même, la figure de Nora, héroïne de la Maison de poupée du dramaturge norvégien Henrik Ibsen (1879), est tout à fait emblématique de ces changements : la pièce se termine par le départ de Nora du foyer conjugal auquel sa condition de femme l’a amarrée, mais que les luttes féministes du XIXe siècle lui permettent de quitter en affirmant son refus du pouvoir masculin. En claquant la porte du domicile conjugal, Nora entre dans le XXe siècle.
5.3 Droits de l’homme et droit des femmes
La femme reste très longtemps l’épouse ou la mère d’un citoyen avant d’accéder elle-même à ce statut. Le législateur du XIXe siècle protège dorénavant les femmes dans le cadre de la famille, mais ne leur octroie aucun droit politique. Révélateur des idées de la majorité des législateurs européens, l’article 213 du Code civil français (1804) proclame que « le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». Autre signe de la phallocratie, au XIXe siècle dans le Code pénal français, l’adultère de la femme est en général passible de prison, alors que celui de l’homme est sanctionné par une amende.
À partir de 1870 en Angleterre (1907 en France), de nouvelles dispositions législatives permettent à la femme de disposer de son salaire. En France, depuis 1920, elle peut adhérer à un syndicat sans l’autorisation de son époux et, depuis 1927, conserver sa nationalité en cas de mariage avec un étranger. Plus émancipatrice, la loi de février 1938 lui donne le droit de passer un contrat, ouvrir un compte bancaire et se présenter à un examen sans l’autorisation de son époux.
En définitive, l’entrée dans l’ère démocratique à partir du XIXe siècle permet plus de libertés, même si celles-ci sont toujours plus avantageuses pour la gent masculine. Les femmes ne bénéficient pas des mêmes droits civiques que les hommes ; alors que le suffrage universel masculin est déclaré en 1848 en France, elles n’obtiennent le droit de vote qu’en 1920 aux États-Unis, 1928 en Angleterre (les suffragettes se battent pourtant ouvertement depuis le début du siècle), 1944 en France et 1971 en Suisse.
6 LES FEMMES À LA FIN DU XXE SIÈCLE
Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, les conditions de vie de la femme se sont grandement améliorées : un travail ménager facilité par l’introduction des appareils électroménagers, lorsqu’il n’est pas partagé avec le conjoint ; des formes de travail à temps partiel ou des congés de maternité qui permettent de concilier vies professionnelle et familiale ; une maternité maîtrisée avec le développement de moyens contraceptifs sûrs (la pilule contraceptive) et le droit à l’avortement (loi du 17 janvier 1975 pour la France) ; un partage de l’autorité parentale (loi française du 4 juin 1970) ; des procédures de divorce simplifiées (loi du 11 juillet 1975).
Avec les années soixante, les revendications féministes se font beaucoup plus puissantes en Europe, grâce à la paix fermement établie, à la prospérité économique et aux découvertes technologiques. En France, le Mouvement de libération des femmes (MLF) est créé en 1970. Puis l’année 1975 est déclarée « année de la femme », et la date du 8 mars « journée internationale de la Femme » par l’Organisation des Nations unies (ONU). Aujourd’hui, les combats pour l’émancipation des femmes se poursuivent, suscitant toujours dans l’opinion publique et dans la classe politique (encore profondément masculine) de vifs débats, comme la féminisation de certains mots ou la loi sur la parité, promulguée le 6 juin 2000, qui vise à corriger la sous-représentation des femmes en politique.