Karl Marx
1 PRÉSENTATION
Marx (1818-1883), philosophe politique, économiste et révolutionnaire allemand.
Cofondateur avec Friedrich Engels du socialisme scientifique, Karl Marx est, à ce titre, l’un des initiateurs du mouvement ouvrier international contemporain. Ses théories politiques et économiques sont à l'origine de l'établissement de régimes communistes dans de très nombreux pays, et il demeure l'un des penseurs qui a le plus fortement marqué le XXe siècle de son empreinte.
2 PREMIÈRES ANNÉES
2.1 Un journaliste dérangeant
Né à Trèves (Rhénanie-Palatinat), Karl Marx est issu d'une famille de la bourgeoisie d'origine juive convertie au protestantisme. Il fait ses études de philosophie et de droit aux universités de Bonn, de Berlin et de Iéna. En 1842, peu après la parution de son premier article dans le journal de Cologne, Rheinische Zeitung (la « Gazette rhénane »), de tendance démocratique révolutionnaire, il devient rédacteur en chef de ce journal. Membre du cercle des hégéliens de gauche, ses opinions politiques sont alors plutôt radicales, mais il n'est pas encore communiste. Ses critiques sur les conditions politiques et sociales de l'époque, publiées dans Rheinische Zeitung, lui valent les foudres des autorités prussiennes, qui font interdire le journal, et le poussent à quitter le pays.
2.2 Une rencontre décisive : Friedrich Engels
Karl Marx part alors pour Paris où, après avoir étudié de manière approfondie la philosophie, l'histoire et les sciences politiques, il adopte l'idéologie communiste. Profondément influencé par le saint-simonisme et par les premières formes d'idéologie politique du prolétariat qui voient le jour en France (blanquisme, socialisme et communisme utopique de Charles Fourier, Pierre Joseph Proudhon, etc.), il fréquente assidûment les cercles d'ouvriers socialistes français et allemands émigrés (la Ligue des justes).
En 1844, lors d'une visite de Friedrich Engels, les deux hommes se rendent compte qu'ils sont tous deux arrivés à la même conclusion sur la nature des problèmes révolutionnaires : le communisme, forme la plus radicale de l'idéologie révolutionnaire, leur apparaît alors non plus comme un idéal d'égalitarisme, mais comme « la forme nécessaire et le principe énergétique du futur prochain ». Ils entreprennent alors de collaborer pour expliquer systématiquement les principes théoriques du communisme scientifique et pour organiser un mouvement international de la classe ouvrière tournée vers ces mêmes principes. Leur collaboration s’achève à la mort de Karl Marx, en 1883.
3 LE MANIFESTE DU PARTI COMMUNISTE
3.1 Naissance de la Ligue communiste
En 1845, Karl Marx est sommé de quitter Paris par François Pierre Guillaume Guizot en raison de ses activités révolutionnaires. Il se réfugie alors à Bruxelles (en Belgique), où il organise et dirige un réseau de groupes révolutionnaires dispersés à travers l'Europe et connus sous le nom de Comités de correspondance communistes. Il joue un rôle décisif dans la consolidation de ces comités qui, en 1847, prennent le nom de Ligue communiste. Karl Marx et Friedrich Engels sont chargés de rédiger le programme de cette première organisation ouvrière internationale. Le texte qu'ils soumettent alors, connu sous le titre de Manifeste du Parti communiste (1848), est le premier écrit systématique de la doctrine socialiste moderne ; il est rédigé par Karl Marx, en partie d'après des brouillons de Friedrich Engels. Les auteurs y substituent à la première devise des communistes, « Tous les hommes sont frères », le mot d'ordre et de ralliement « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
3.2 La lutte des classes
Les propositions du Manifeste expriment la théorie, expliquée plus tard dans son livre Contribution à la critique de l'économie politique (1859), de la conception matérialiste de l'histoire, ou matérialisme historique. Cette théorie, qui constitue une rupture à la fois philosophique et politique, explique qu'à chaque époque (Antiquité, féodalisme, capitalisme bourgeois), le système économique dominant (fondé sur les rapports de production) donnant naissance à des besoins vitaux détermine la forme de l'organisation politique et juridique de la société (la « superstructure ») et conditionne le processus de la vie politique, sociale, culturelle et intellectuelle de cette même époque. Selon les auteurs du Manifeste, l'humanité a vécu à l'origine dans une société primitive dans laquelle chacun exécutait le travail nécessaire à sa survie et était libre. En permettant l'accroissement des capacités de production, la division du travail a entraîné l'ascension et l'enrichissement de l'humanité. C'est ainsi que se sont mises en place des classes sociales et, dès lors, l'histoire de la société est devenue une histoire de luttes entre les dirigeants et les exécutants, dominants et dominés, exploitants et exploités, c'est-à-dire un rapport de force entre ceux qui louent leur force de travail (les classes sociales opprimées) et les propriétaires des moyens de production, détenteurs du capital (la classe dominante, la bourgeoisie).
À partir de cette analyse dialectique de l'histoire, Karl Marx tire dans le Manifeste la conclusion que la classe capitaliste devrait être renversée et supprimée à travers une révolution réalisée par les classes ouvrières du monde entier (le prolétariat). En devenant la propriété collective de tous, le capital (ou les moyens de production) ne permettrait plus l'émergence d'un nouvel antagonisme de classe et disparaîtrait au profit d'une société sans classes dans laquelle tous les hommes seraient réellement égaux. À compter de la publication du Manifeste, toute la littérature communiste ainsi que la pensée révolutionnaire s'en trouve profondément modifiée et renouvelée. Bien que peu diffusé lors de sa parution, le Manifeste est ensuite traduit en plusieurs langues et tiré à plusieurs centaines de millions d'exemplaires.
4 EXIL POLITIQUE
4.1 Un révolutionnaire indésirable
Peu après la parution du Manifeste, des révolutions éclatent en France (Révolution de février 1848, IIe République) et en Allemagne. Le gouvernement belge, craignant que cette vague de révolutions ne déferle sur la Belgique, chasse Karl Marx, qui regagne alors Paris, puis la Rhénanie. Il s'installe enfin à Cologne où il fonde et édite un journal communiste, la Neue rheinische Zeitung (la « Nouvelle Gazette rhénane ») et où il dirige la section locale de la Ligue des communistes et fond » une association de travailleurs comptant sept mille adhérents. En 1849, accusé d'organiser des activités révolutionnaires, il est arrêté et jugé à Cologne pour incitation à l'insurrection armée. Il est finalement acquitté, mais expulsé d'Allemagne. Après l'échec des révolutions en France et en Europe, il s'exile alors à Londres (en Angleterre), où il passe le reste de sa vie.
4.2 Le Capital
En Angleterre, Karl Marx se consacre à l'étude et à l'écriture, poursuivant des travaux théoriques acharnés, notamment à la salle de lecture du British Museum. Il travaille également à la construction d'un mouvement communiste international. Il rédige à cette période plusieurs ouvrages considérés comme des grands classiques de la théorie communiste (ou marxiste). Parmi ces ouvrages figurent le Capital (Das Kapital, vol. I, 1867 ; vol. II et III, édités par Friedrich Engels, publiés après sa mort en 1885 et en 1894). Dans cet ouvrage, dont il dit qu'il est « certainement le plus redoutable missile qui ait été lancé à la tête de la bourgeoisie », il fait l'analyse systématique et historique de l'économie du système capitaliste et développe la théorie de l'exploitation par les capitalistes de la classe ouvrière à travers l'appropriation par les premiers de la « plus-value » produite par le prolétariat.
Dans la Guerre civile en France (1871), Karl Marx fait l'analyse de l'expérience du gouvernement révolutionnaire de courte durée, établi à Paris lors de la guerre franco-allemande, connu sous le nom de Commune de Paris. Dans cet ouvrage, il interprète la formation et l'existence de la Commune comme la confirmation historique de sa théorie sur la nécessité pour les travailleurs de s'emparer du pouvoir politique à travers une insurrection armée, puis de détruire l'État capitaliste. Polémiquant avec Proudhon et les socialistes utopiques, il acclame la Commune comme étant « enfin une institution politique à travers laquelle l'émancipation économique du travail pouvait avoir lieu ».
Cette théorie est explicitement présentée dans Critique du programme de Gotha (1875), ouvrage dans lequel Karl Marx précise le concept de dictature du prolétariat : « Entre le passage d'un système capitaliste à un système communiste s'écoule une période de transformation révolutionnaire d'un système dans l'autre qui correspond à une période de transition politique pendant laquelle l'État ne peut rien faire d'autre que de régner en dictateur révolutionnaire sur le prolétariat. » Une fois close cette période transitoire dont Karl Marx ne précise pas la durée, le droit bourgeois peut être définitivement dépassé et la société peut mettre en pratique le mot d'ordre : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » (Critique du programme de Gotha).
D'Angleterre, Karl Marx publie également plusieurs articles dans différents journaux d'Europe et des États-Unis sur les événements politiques et sociaux contemporains. Il est ainsi correspondant du New York Daily Tribune de 1852 à 1861. En 1857 et en 1858, il collabore à des journaux chartistes et socialistes anglais.
4.3 La Ire Internationale
La Ligue communiste est dissoute en 1852, mais Karl Marx continue à correspondre avec des centaines de révolutionnaires dans le but de former une autre organisation révolutionnaire, mieux organisée et plus efficace. Ses efforts, alliés à ceux de nombreux collaborateurs, permettent la création à Londres, en 1864, de l'Association internationale des travailleurs (AIT), connue sous le nom de Ire Internationale. Elle rassemble des organisations ouvrières anglaises, françaises, allemandes, puis italiennes, espagnoles, américaines, etc., d'inspirations idéologiques diverses (proudhoniens, lassalliens, mazziniens, trade-unionistes, etc.) ; leur réunion est, selon Karl Marx, « le produit spontané du mouvement prolétaire, engendré lui-même par les tendances naturelles, irrépressibles, de la société moderne », c'est-à-dire par le développement des luttes politiques et économiques de masses.
Karl Marx délivre le discours d'inauguration (le plus important texte politique du marxisme après le Manifeste du Parti communiste), en rédige les statuts et dirige ensuite les travaux de son Conseil général, ou corps gouvernant. Il fait triompher, contre le projet d'un simple organisme consultatif et de solidarité, la conception d'un internationalisme de direction politique, chargé de mettre au point, à partir de l'expérience des situations de luttes locales, une tactique unique pour la lutte prolétarienne de la classe ouvrière dans les divers États industrialisés.
Après y avoir imposé plusieurs années durant la ligne d'un « socialisme scientifique », la position de Karl Marx est d'abord affaiblie par le retrait des trade-unionistes anglais du Conseil général, attachés à une transition pacifique vers le socialisme, ensuite par l'influence croissante de Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine et des anarchistes. Lorsque la Commune, à laquelle avaient adhéré des membres de la Ire Internationale, est anéantie, l'Internationale décline et Karl Marx décide de déplacer son quartier général aux États-Unis. L'AIT y est dissoute en 1876.
5 DERNIÈRES ANNÉES
5.1 Projets d’écriture inachevés
Les huit dernières années de la vie de Karl Marx sont marquées par une lutte incessante contre des douleurs physiques qui l'empêchent de mener à bien ses travaux politiques. Au cours de cette période, il entretient des rapports très étroits avec les révolutionnaires russes de la tendance « Volonté du peuple » et évoque la possibilité d'une transition originale au socialisme, sans passer par le stade industriel avancé.
Les manuscrits et les notes trouvés après sa mort (à Londres le 14 mars 1883) révèlent que Karl Marx avait projeté d'écrire un quatrième volume du Capital sur l'histoire des doctrines économiques. Ces fragments de notes sont édités par le socialiste allemand Karl Johann Kautsky et publiés sous le titre les Théories de la plus-value (4 vol., 1905-1910). D'autres travaux ont été découverts, envisagés mais non réalisés, sur les sciences naturelles, des études mathématiques, des études sur l'application des mathématiques aux problèmes économiques afin de réfuter le malthusianisme et d'autres encore sur les aspects historiques des différents développements technologiques.
5.2 Influence et héritage
L'influence de Karl Marx sur ses contemporains n’est pas très significative de son vivant, mais elle s'accroît considérablement après sa mort, favorisée par l'importance croissante du mouvement ouvrier. Comme praticien de la politique, Karl Marx ne rencontre guère de succès. De même, comme théoricien, il n'exerce une influence sur le mouvement ouvrier que pendant la dernière partie de sa vie. Sa pensée n'a pénétré de larges cercles que sous la forme de slogans superficiels et elle a été mélangée avec d'autres courants intellectuels de l'époque, comme le darwinisme ou le matérialisme mécaniste.
Karl Marx conçoit sa théorie comme une synthèse de la philosophie allemande (Hegel), de l'économie politique anglaise (Adam Smith, David Ricardo) et des théories socialistes françaises, mêlant en permanence la théorie et la pratique, l'action politique et la réflexion intellectuelle. Ses idées et théories ont pris le nom de marxisme, ou socialisme scientifique, qui constitue l'un des principaux courants de la pensée politique contemporaine. Ses analyses sur l'économie capitaliste, alliées à ses théories sur le matérialisme historique, la lutte des classes et la plus-value, sont devenues le fondement des doctrines socialistes au XXe siècle. En regard de son action révolutionnaire, ses théories sur la nature de l'État capitaliste, la route vers le pouvoir et la dictature du prolétariat, sont d'une importance capitale. Ces doctrines, revues et complétées par la plupart des socialistes après sa mort, ont été reprises par Lénine puis, développées et appliquées, ont constitué le noyau de la théorie et de la pratique du bolchevisme et de la IIIe Internationale. Atténuées, elles ont également profondément influencé le courant du socialisme démocratique et réformiste au XXe siècle, en particulier le socialisme français jusqu'au début des années 1980.