travail
1 PRÉSENTATION
travail (économie), activité faisant l’objet d’une rémunération.
Traditionnellement, le travail est considéré dans la théorie économique comme un facteur de production. Il intervient, comme le capital ou les matières premières, dans le processus de création des biens et des services, et représente une ressource pour l’entreprise.
Pourtant, il apparaît trop réducteur d’assimiler l’activité des hommes dans l’entreprise à une quantité vague et indifférenciée d’heures de travail : en effet, les tâches humaines sont très diverses et la façon même de les organiser détermine en grande partie leur efficacité.
2 LE TRAVAIL DANS LE MODÈLE ÉCONOMIQUE TRADITIONNEL
Dans les théories classiques et néoclassiques, très marquées par le développement du salariat, le travail est une marchandise comme une autre, un objet d’échange que les salariés négocient par quantités d’heures avec les entrepreneurs.
En fonction de la rémunération que le marché propose pour un travail horaire, les offreurs de travail que sont les salariés vont arbitrer entre l’utilité retirée de la consommation permise par un revenu supérieur et la désutilité provoquée par le renoncement aux loisirs pour travailler. Les demandeurs de travail, les employeurs, vont pour leur part fixer un volume d’heures de travail leur permettant de procéder à la fabrication de biens de manière à obtenir une égalité entre le coût du travail et sa productivité. À l’équilibre, une rémunération horaire est déterminée et l’échange s’effectue.
Cet équilibre correspond à l’optimum de Pareto, situation dans laquelle on ne peut augmenter la satisfaction d’un agent économique sans diminuer celle d’un autre. Dans ce modèle, le chômage est toujours considéré comme volontaire, puisque l’individu a la possibilité d’effectuer un arbitrage entre travail et loisir, son choix étant en fait déterminé par la prise en compte d’un salaire de réserve en dessous duquel il s’abstiendra.
Cependant, la théorie classique, décrivant une situation de symétrie parfaite entre offreurs et demandeurs de travail, s’adapte mal à la réalité du marché du travail telle qu’on l’observe dans les économies contemporaines. En effet, elle ne permet de décrire, et a fortiori d’expliquer, ni le chômage involontaire, ni la rigidité des salaires, ni l’organisation interne du travail, ni les caractéristiques actuelles des relations entre employeurs et employés.
3 LES CRITIQUES MARXISTES ET KEYNÉSIENNES
Si Marx, le premier, a souligné que les travailleurs ne sont pas en mesure d’opérer de véritables choix sur le marché du travail, la menace du chômage les obligeant à accepter les conditions imposées par les employeurs, c’est à Keynes que l’on doit la formulation de la théorie du chômage involontaire. Selon lui, en effet, le marché du travail n’est pas revêtu d’une identité propre, et n’est en fait que le miroir du marché des biens : si la demande de biens est inférieure à l’offre, alors le marché du travail sera en situation de sous-emploi, car les entreprises diminueront leur offre pour s’adapter à la baisse de la demande, et un chômage non désiré fera son apparition.
La synthèse néoclassique confirme les observations de Keynes en les fondant sur un ensemble d’explications microéconomiques. Pour sa part, la théorie du déséquilibre, développée notamment par Edmond Malinvaud, explique le chômage involontaire par l’imparfaite flexibilité des prix et des salaires qui empêche une coordination optimale des choix individuels.
4 LES NOUVELLES THÉORIES DU MARCHÉ DU TRAVAIL
Au cours des années 1980, de nouvelles hypothèses ont été développées, qui toutes tentent d’intégrer certaines spécificités propres au marché particulier que constitue le marché du travail. Elles prennent en compte les recherches des courants hétérodoxes, appelés ainsi car ils s’éloignent de l’hypothèse de rationalité qui prévaut dans les analyses classique et keynésienne. Ces courants se sont en particulier intéressés au contexte institutionnel des relations de travail et aux logiques collectives (celles des syndicats par exemple) plutôt qu’aux stratégies individuelles. Cette démarche permet d’expliquer les déséquilibres par l’imparfaite flexibilité des salaires et par la segmentation du marché, à l’origine de la faible mobilité des travailleurs.
D’autres théories, enfin, tentent d’opérer la synthèse entre analyses orthodoxes et hétérodoxes. Ainsi, la théorie des négociations s’intéresse aux relations et aux stratégies des agents sur le marché du travail.
Martin Weitzman, par exemple, a présenté le modèle d’une économie de partage des profits : dans ce modèle, la rémunération des travailleurs est partiellement liée aux résultats de l’entreprise, que des subventions à l’emploi encouragent à opter pour ce système, rendant ainsi une légitimité à l’intervention de la puissance publique. Au niveau macroéconomique et pour une même rémunération globale, l’économie de partage se trouve ainsi en situation de sur-emploi, à condition que le salaire de base ne soit pas trop élevé. Les coûts découlant de l’implantation de ce système restent quant à eux inférieurs à ceux qui sont nécessaires pour obtenir le plein emploi dans une économie salariale traditionnelle. Une telle organisation économique présente, de plus, l’avantage d’être plus stable face aux chocs macroénomiques.
5 LE PROBLÈME DE L'ORGANISATION DU TRAVAIL
Une entreprise n’est pas une boîte noire dans laquelle des facteurs de production sont introduits pour créer mécaniquement des biens. Tirant les conclusions de cette observation, la sociologie du travail étudie l’organisation et la nature des tâches au sein de l’entreprise.
Cette discipline est née avec les premières recherches de l’Américain Frederick Taylor, ingénieur autodidacte et inventeur d’une méthode d’organisation de l’entreprise, le taylorisme, que l’on appelle également « organisation scientifique du travail ». Cette méthode repose sur la rationalisation des tâches, consistant dans la division entre les tâches des concepteurs, qui assurent la mise au point des produits et le suivi des méthodes de production, et les tâches des exécutants, chargés d’appliquer les consignes des ingénieurs. La stricte division du travail dans le cadre de la production de masse se révèle d’une efficacité bien supérieure à la parcellisation empirique des tâches, comme en attestent les expériences réalisées dans les usines d’automobiles Ford à partir du début du XXe siècle. Cependant, de nombreuses expériences menées à partir des années 1930 ont remis en cause le caractère trop simpliste des schémas de Taylor.
Ainsi, Elton Mayo, fondateur de l’école des relations humaines, s’est attachée à souligner les limites inhérentes à la parcellisation des tâches. Il a fait valoir que, dans l’entreprise, les ouvriers se structurent en groupes, qui partagent souvent la même culture et la même sensibilité aux conditions de travail et aux styles de commandement, de sorte qu’ils ont besoin, pour être motivés, d’une zone de liberté dans laquelle les cadres ne pénètrent pas.
Enfin, certains sociologues du travail, comme le Français Georges Friedmann (auteur de plusieurs ouvrages, dont Où va le travail humain ?, publié en 1950), ont établi que le travail à la chaîne n’était pas seulement d’une efficacité limitée quand il s’exerçait dans certaines conditions, mais qu’il encourageait, par son aspect déresponsabilisant et répétitif, une véritable déshumanisation.
6 L'ORGANISATION DU TRAVAIL AUJOURD'HUI
Les transformations économiques intervenues depuis une vingtaine d’années ont rendu nécessaires des modifications de l’organisation du travail dans la plupart des grands secteurs industriels. Confrontées à la mondialisation des échanges et à la montée de la concurrence, ainsi qu’aux évolutions de la demande, les entreprises se sont vues contraintes de produire dans les meilleures conditions de rentabilité mais aussi de s’adapter à des variations rapides des goûts des consommateurs, davantage informés et demandeurs de produits plus différenciés. De tels changements ont nécessairement influé sur l’organisation du travail.
Les entreprises japonaises se sont adaptées les premières aux mutations de la demande mondiale et ont conçu de nouveaux modes d’organisation du travail au cours des dernières décennies. Le « juste-à-temps » (Just in Time) et le « zéro stock », techniques de gestion fondées sur une production directement reliée à la demande, furent rendus possibles par la méthode de l’atelier flexible ; il s’agit d’introduire une très grande flexibilité dans la chaîne de montage en utilisant des ordinateurs qui pilotent des unités mobiles de production. Corollaire de cette méthode, la déspécialisation des ouvriers à leur poste a permis d’accroître leur efficacité en leur accordant plus de responsabilités et en exigeant d’eux une qualification plus poussée.
Dans d’autres pays, où l’adaptabilité des salariés est moins forte (du fait de l’existence d’un droit du travail plus contraignant et d’une présence syndicale qui reste importante), ces adaptations ont fait l’objet de négociations, particulièrement en Allemagne, qui possède une forte tradition de cogestion entre syndicats et chefs d’entreprise. Elles ont fréquemment consisté dans des incitations salariales pour améliorer la qualité des produits, technique propre à encourager la responsabilisation des salariés.
Cependant, dans des pays où la culture du conflit l’emporte fréquemment sur celle de la négociation, comme la France et la Grande-Bretagne, on s’aperçoit que la flexibilité externe (l’embauche et le licenciement, ou le recours aux emplois précaires) est souvent préférée à la flexibilité interne (l’adaptation des ressources internes à de nouveaux métiers ou à de nouveaux postes). En période de compétition accrue conduisant à réduire les marges, le facteur travail, considéré comme le plus mobile, est le plus souvent la première victime des phénomènes de flexibilité.