Capital symbolique (concept de Pierre Bourdieu)
Définition 1: « magie sociale qui transforme en qualités de la personne ou de la lignée, les richesses socialement accumulées. » (Pinçon, Pinçon-Charlot, 2002, p. 141)
Définition 2: « ensemble des rituels (comme l’étiquette ou le protocole) liés à l’honneur et à la reconnaissance. Il est le crédit et l’autorité que confèrent à un agent la reconnaissance et la possession des trois autres formes de capital (économique, culturel et social). » (Bonnewitz, 2002, « Glossaire spécifique », p. 93)
Définition 3: (capital symbolique, charisme et magie). « Un des effets de la violence symbolique est la transfiguration des relations de domination et de soumission en relations affectives, la transformation du pouvoir en charisme ou en charme propre à susciter un enchantement affectif (par exemple dans les relations entre patrons et secrétaires). [...] L’alchimie symbolique, telle que je viens de la décrire, produit, au profit de celui qui accomplit les actes d’euphémisation, de transfiguration, de mise en forme, un capital de reconnaissance qui lui permet d’exercer des effets symboliques. C’est ce que j’appelle le capital symbolique, conférant ainsi un sens rigoureux à ce que Max Weber désignait du mot de charisme, concept purement descriptif, qu’il donnait explicitement – au début du chapitre sur la religion de Wirtschaft und Gesellschaft – pour un équivalent de ce que l’école durkheimienne appelait la mana. Le capital symbolique est une propriété quelconque, force physique, richesse, valeur guerrière, qui, perçue par des agents sociaux dotés des catégories de perception et d’appréciation permettent de la percevoir, de la connaître et de la reconnaître, devient efficiente symboliquement, telle une véritable force magique : une propriété qui, parce qu’elle répond à des « attentes collectives », socialement constituées, à des croyances, exerce une sorte d’action à distance, sans contact physique. On donne un ordre et il est obéi : c’est un acte quasi magique. » (Bourdieu, 1994, p. 187)
Exemples de capital symbolique. La place essentielle de l’Etat. « Comme le sorcier mobilise tout le capital de croyance accumulé par le fonctionnement de l’univers magique, le président de la République qui signe un arrêté de nomination ou le médecin qui signe un certificat (de maladie, d’invalidité, etc.) mobilisent un capital symbolique accumulé dans et par tout le réseau de relations de reconnaissance qui sont constitutives de l’univers bureaucratique. Qui certifie la validité du certificat ? Celui qui a signé le titre donnant licence de certifier. Mais qui certifie à son tour ? On est entraîné dans une régression à l’infini au terme de laquelle « il faut s’arrêter » et l’on peut, à la façon des théologiens, choisir de donner le nom d’Etat au dernier (ou au premier) maillon de la longue chaîne des actes officiels de consécration. C’est lui qui, agissant à la façon d’une banque de capital symbolique, garantit tous les actes d’autorité, actes, à la fois arbitraires et méconnus comme tels, d’« imposture légitime », comme dit Austin : le président de la République est quelqu'un qui se prend pour le président de la République, mais qui, à la différence du fou qui se prend pour Napoléon, est reconnu comme fondé à le faire. » (Bourdieu, 1994, p. 122)
Exemple de capital symbolique : celui de Louis XIV. « Le capital symbolique qui fait qu’on s’incline devant Louis XIV, qu’on lui fait la cour, qu’il peut donner des ordres et que ces ordres sont obéis, qu’il peut déclasser, dégrader, consacrer, etc., n’existe que dans la mesure où toutes les petites différences, les marques de distinction subtiles dans l’étiquette et les rangs, dans les pratiques et dans le vêtement, qui font la vie de cour, sont perçues par des gens qui connaissent et reconnaissent pratiquement (ils l’ont incorporé) un principe de différenciation qui leur permet de reconnaître toutes ces différences et de leur accorder valeur [...]. Le capital symbolique est un capital à base cognitive, qui repose sur la connaissance et la reconnaissance. » (Bourdieu, 1994, p. 161) Exemple de capital symbolique : dans le monde de l’art. « Le capital de l’artiste est un capital symbolique [...]. Ce capital symbolique de reconnaissance [...] suppose la croyance des gens engagés dans le champ. C’est ce qu’a bien montré Duchamp qui [...] a fait de véritables expérimentations sociologiques. En exposant un urinoir dans un musée, il a mis en évidence l’effet de constitution qu’opère la consécration par un lieu consacré, et les conditions sociales de l’apparition de cet effet. Toutes les conditions ne se réduisent pas à celles-là, mais il fallait que cet acte soit accompli par lui, c'est-à-dire par un peintre reconnu comme peintre par d’autres peintres ou d’autres agents du monde de l’art ayant le pouvoir de dire qui est peintre, il fallait qu’il soit dans un musée qui le reconnaissait comme peintre et qui avait le pouvoir de reconnaître son acte comme un acte artistique, il fallait que le milieu artistique soit prêt à reconnaître ce type de mise en question de sa reconnaissance. [...] Il faudrait encore redire à propos du capital symbolique de l’écrivain ou de l’artiste, à propos du fétichisme du nom de l’auteur et de l’effet magique de la signature, tout ce qui a été dit à propos du capital symbolique tel qu’il fonctionne dans d’autres univers : en tant que percipi, il repose sur la croyance, c'est-à-dire sur les catégories de perception et d’appréciation qui sont en vigueur dans le champ. » (Bourdieu, 1994, pp. 198-199)