Habitus
Définition 1: « Système des dispositions à percevoir le monde, à sentir, à penser, à agir d'une certaine façon, intériorisées au cours des apprentissages successifs d'un individu (famille, école, travail, etc.), de manière le plus souvent non consciente. Chaque habitus individuel est singulier (car chacun fait un nombre d'expériences sociales, et dans un ordre, qui lui sont propres). Un habitus de classe, ce sont les dispositions tendanciellement communes à une classe d'individus. » (Colloque PB, 2003)
Définition 2: « système de dispositions durables acquis par l’individu au cours du processus de socialisation qui génère et organise les pratiques et les représentations des individus et des groupes. » (Bonnewitz, 2002, « Glossaire spécifique », p. 94)
Définition 3: « Terme ancien qu’on trouve chez Aristote. Actuellement utilisé en sociologie dans le cadre du courant animé par Pierre Bourdieu. Désigne le système de dispositions durables acquis par l’individu au cours du processus de socialisation. Se présente à la fois comme le produit agissant de conditions sociales passées et comme principe générateur des pratiques et des représentations permettant à l’individu de construire des stratégies anticipatrices. Selon Bourdieu, cette notion contribue au dépassement de l’opposition entre les points de vue objectiviste et subjectiviste, entre les forces extérieures de la structure sociale et les forces intérieures issues des décisions libres des individus. « Intériorisation de l’extériorité », l’habitus, produit d’un travail d’inculcation et d’incorporation, sert de support à la mise en correspondance des possibilités objectives et des stratégies subjectives, tout en assurant l’indépendance relative des pratiques par rapport aux déterminations extérieures du présent immédiat. Il y aurait alors compatibilité entre l’homogénéisation des pratiques et des représentations à l’intérieur de groupes ou de collectifs soumis à des conditions d’existence semblables et la singularité des trajectoires sociales. » (Ferréol, 1991, 2004, art. « habitus »)
Les différentes dimensions de l’habitus (selon Bourdieu). « Dans ses premiers développements, Pierre Bourdieu distinguait trois dimensions majeures du concept : les dispositions corporelles (posturales et gestuelles), qualifiées d’hexis ; les dimensions morales (ou le système de valeurs), qualifiées d’ethos, les dimensions cognitives (ou le système de représentations), qualifiées d’eidos ; et l’on retrouve encore mentionnées la compétence linguistique ainsi que l’aisthesis (dispositions esthétiques ou goût) que Pierre Bourdieu intègre cependant rapidement à /p. 164/ l’ethos. Ce dimensionnement tend néanmoins à disparaître au fil de l’œuvre [...]. » (Bronckart, Schurmans, 2001, pp. 163-164, souligné par moi, les italiques sont d’origine)
Selon Bourdieu. « Cette notion d’habitus a une longue tradition : la scolastique l’a employée pour traduire l’hexis d’Aristote. (On la trouve chez Durkheim qui, dans L’Evolution pédagogique en France, remarque que l’éducation chrétienne a dû résoudre les problèmes posés par la nécessité de façonner des habitus chrétiens avec une culture païenne ; et aussi chez Mauss, dans le fameux texte sur les techniques du corps. Mais aucun de ces auteurs ne lui fait jouer un rôle décisif). // Pourquoi être allé chercher ce vieux mot ? Parce que cette notion d’habitus permet d’énoncer quelque chose qui s’apparente à ce qu’évoque la notion d’habitude, tout en s’en distinguant sur un point essentiel. L’habitus, comme le mot le dit, c’est ce que l’on a acquis, mais qui s’est incarné de façon durable dans le corps sous forme de dispositions permanentes. [...L’]habitus est un capital, mais qui, étant incorporé, se présente sous les dehors de l’innéité. » (Bourdieu, 1978, p. 134)
Selon Marcel Mauss. « [...] J’ai donc eu pendant de nombreuses années cette notion de la nature sociale de l’"habitus". Je vous prie de remarquer que je dis en bon latin, compris en France, "habitus". Le mot traduit, infiniment mieux qu’"habitude", l’"exis", l’"acquis" et la "faculté" d’Aristote (qui était un psychologue). Il ne désigne pas ces habitudes métaphysiques, cette "mémoire" mystérieuse, sujets de volumes ou de courtes et fameuses thèses. Ces "habitudes" varient non pas simplement avec les individus et leurs imitations, elles varient surtout avec les sociétés, les éducations, les convenances et les modes, les prestiges. » (Mauss, 1934, pp. 368-369)
Quelques considérations sur la "construction" de l’habitus. « Les premières expériences sont les plus déterminantes, elles laissent l’empreinte la plus forte et la plus durable. » Cela dit, l’habitus n’est jamais figé. Il continue à « se modifier au fil des expériences qui le constituent, au fil des rencontres et des contacts ». Mais il connaît une certaine inertie : il a tendance « à assurer sa constance et sa défense contre le changement et la remise en question. » Sans compter que « l’individu évolue dans un univers propre à renforcer ses dispositions et à les recevoir favorablement. En limitant son exposition à des milieux étrangers, sans forcément en avoir conscience, il évite le contact avec l’information susceptible de mettre en question l’information accumulée qui façonne sa représentation du monde. » (Hilgers, 2006)