Paradigme
Explication: Le paradigme est un certain mode de fonctionnement de la discipline à une période donnée. Par exemple, à une époque, on considérait que la bonne théorie était le marxisme, que le bon outil était le questionnaire. En physique, il y a eu un changement de paradigme avec l'apparition de la théorie de la relativité. (d'après Béatrice de Gasquet, 15/11/2004)
Définition. « LOG. Modèle théorique de pensée qui oriente la recherche et la réflexion scientifiques. » (Le Petit Larousse Illustré 1998)
Exemples la naissance du capitalisme (Weber), p. de la socialisation anticipée (Merton), la frustration relative (Stouffer), de la famille nucléaire (Parsons), p. de l'action collective (Olson), p. du capital social (Bourdieu), p. des conflits de groupe (Dahrendorf), p. de la démocratie (Tocqueville), p. de Chicago (Park et Burgess), p. des conflits de classes (Marx), p. de la logique des signes (Baudrillard). (Ferréol, 1991, 1995) Explication (par Bricmont et Sokal). « Le schéma de Kuhn est bien connu : le gros de l’activité scientifique, ce qu’il appelle "la science normale", se déroule à l’intérieur de "paradigmes". Ceux-ci définissent le genre de problèmes à étudier, les critères au moyen desquels une solution est évaluée, et les procédures expérimentales considérées comme acceptables. De temps en temps, la science normale entre en crise et l’on assiste à un changement de paradigme. Par exemple, la naissance de la physique moderne, avec Galilée et Newton, suppose une rupture avec Aristote et, au vingtième siècle, la théorie de la relativité et la mécanique quantique renversent le paradigme de la mécanique classique. Même chose en biologie, lorsqu’on passe d’une vision fixiste des espèces à la théorie de l’évolution, ou de Lamarck à la génétique moderne. » (Bricmont, Sokal, 1997, 1999,p. 116)
Explication (par Claude Dubar). « Dans la sociologie, on est passé d’une sorte d’hégémonie du concept de classe sociale à une montée en puissance du concept de genre. Le genre est devenu non pas une mode, mais un paradigme important dans la sociologie française. Je voudrais rappeler dans quel sens j’emploie ce terme de « paradigme ». C’est le lien entre une vision de la société (une vision du monde, une vision sociale...) et une manière de faire de la sociologie. L’auteur qui a mis à la mode ce terme de paradigme est Thomas Kuhn, l’un des plus grands philosophes et historiens des sciences. Il l’a introduit dans un livre publié aux Etats-Unis en 1962 (tout à fait passionnant pour qui s’intéresse à l’histoire des sciences) qui s’appelle La structure des révolutions scientifiques. Et il défend – un peu comme Bachelard en France mais de manière beaucoup plus rigoureuse et fondée empiriquement – l’idée que la physique (puisqu’il prend l’exemple de la physique) n’évolue pas sous la forme d’un progrès linéaire mais par révolutions successives, par changements de paradigme. C'est-à-dire que, tout d’un coup, la physique développe une autre vision de l’univers et une autre façon de faire de la science. Thomas Kuhn analyse trois paradigmes. Le premier est celui de Newton à la fin du XVIIIe siècle. Newton, c’est l’attraction universelle, c’est la gravité. C’est un monde qui est entre l’infiniment petit et l’infiniment grand : c’est le monde dans lequel on vit, le monde que l’on perçoit et que l’on peut analyser en laissant tomber une pomme d’un arbre et en mesurant la durée qu’elle met pour s’écraser par terre. C’est une vision où il y a des forces qui s’influencent dans l’univers, où chaque atome est attiré par un autre atome selon une force inversement proportionnelle au carré de la distance. Tout cela, c’est le paradigme newtonien, c’est ce qu’on appelle la physique classique. On change complètement de paradigme à partir de la fin du XIXe siècle et, surtout, de 1905, avec la relativité d’Einstein qui s’intéresse à l’infiniment grand, à l’infiniment puissant, à l’infiniment rapide (la vitesse de la lumière, l’univers en expansion...). Einstein établit une relation (absolument inimaginable dans le paradigme newtonien) entre l’énergie et la masse : l’énergie est proportionnelle à la masse multipliée par le carré de la vitesse de la lumière (E=mc²). Pour comprendre cette nouvelle physique, il faut se situer dans une autre vision du monde : celle de l’univers en expansion, des années-lumière comme mesure (et pas du kilomètre comme chez Newton). Ce paradigme d’Einstein sera, à son tour, remis en question avec les quanta. On change encore complètement de vision du monde. Avec Heisenberg, on regarde l’intérieur de l’atome (dans lequel on découvre qu’il y a plein de particules), et on s’aperçoit qu’on ne peut pas connaître à la fois la position et la vitesse de ces particules élémentaires parce que l’observateur influe sur ce qu’il observe. Et, donc, ce n’est plus le grand télescope que l’on utilise dans les expériences, mais l’accélérateur de particules. On voit donc bien, ici, que la clé de compréhension d’une théorie scientifique, c’est la relation entre l’image que les scientifiques se font du monde (l’image du social, si l’on parle de sociologie) et la manière dont ils procèdent pour produire leurs résultats. Quand on a compris cela, on a vraiment compris ce qu’est un paradigme. Pour ma part, je plaide à la fin de mon livre [à paraître] pour la coexistence (pacifique ou pas) absolument inévitable d’au moins quatre paradigmes dans la sociologie [le conflictualisme (associé à Marx), le fonctionnalisme (Bourdieu, Durkheim), l’interactionnisme (A. Strauss, J.-D. Reynaud) et l’individualisme compréhensif (M. Weber, G. H. Mead)]. On ne peut pas écrire l’histoire de la sociologie (comme de la physique) par le remplacement d’un paradigme par un autre. Il n’empêche que les paradigmes ont leurs heures de gloire sans, pour autant, disparaître par la suite. Il y a encore des gens – j’en fais partie – qui trouvent qu’il y a des choses fondamentalement importantes chez Marx et que le concept de classe sociale est absolument central pour la sociologie. Mais cela ne m’empêche pas de constater que, aujourd’hui, dans la littérature sociologique, je lis beaucoup plus de choses sur le genre que de choses sur les classes sociales. » (Dubar, 18/05/2006, citation orale mise sous une forme écrite par mes soins)