Structure
Explication par Boudon. « La signification de [la notion de structure] est loin d'être claire et donne souvent lieu à de faux problèmes. Cette notion est unie à la notion de système ». C’est en effet par l'analyse des systèmes que « sont mises en évidence les structures ». L’analyse structurale n'est finalement pas autre chose qu'une analyse de systèmes, c'est-à-dire une théorie permettant de rendre compte de l'interdépendance des éléments d'un objet conçu comme une totalité. Dans certaines disciplines, l'approche systémique a remplacé assez brutalement une approche descriptive (linguistique, anthropologie). Dans d'autres (économie, sociologie), l'approche est systémique dès l'origine. C'est pourquoi il n'y a pas de mouvement de rupture structuraliste dans ces domaines. La notion de structure est complexe. En anthropologie et en linguistique, elle est associée à une révolution scientifique : alors que, dans la tradition classique, ces disciplines étaient principalement descriptives, l'anthropologie et la linguistique structurales sont abstraites et formalisées. Il est certain que l'extension de la notion de structure dans les sciences humaines est liée à leur mathématisation croissante. Mais, dans de nombreux cas, la notion de structure est indépendante de tout formalisme mathématique au moins explicite, comme dans le structuro-fonctionnalisme sociologique de Talcott Parsons, dans la critique littéraire structuraliste, ou même dans la phonologie structurale de R. Jakobson . Dans tous les cas, cette notion apparaît en corrélation avec celle de système. Le schéma épistémologique peut être résumé de la façon suivante : un chercheur, qu'il soit linguiste, économiste, sociologue, politologue, se propose d'analyser un objet conçu comme un système, c'est-à-dire comme un ensemble d'éléments interdépendants, ne prenant sens que les uns par rapport aux autres, en un mot constituant une totalité ; il imagine alors, selon le cas, soit un ensemble de concepts, soit une théorie, soit un modèle permettant de rendre compte de cette interdépendance. La théorie, le système conceptuel ou le modèle sont alors interprétés comme la structure de l'objet considéré. » « Cette notion, à défaut du mot, est fort ancienne et remonte à la philosophie grecque. Ainsi Aristote conçoit-il explicitement comme des systèmes non seulement les êtres vivants mais les sociétés. » (Raymond Boudon, article « Structure », Encyclopædia Universalis, 2004)
Exemple 1 : la famille chez Parsons. « Parsons s'interroge sur les raisons pour lesquelles l'institution familiale a tendance, dans les sociétés industrielles, à se réduire à la famille nucléaire (composée des parents et des enfants, par opposition à la famille étendue, incluant ascendants et collatéraux). La réponse structuro-fonctionnaliste de Parsons consiste à concevoir les institutions, au sens large du mot, économiques et familiales comme composant un système d'éléments interdépendants. Dans une société de type industriel, l'adaptation des individus au marché de l'emploi suppose, d'une part, que les liens familiaux avec leurs ascendants soient suffisamment lâches pour ne pas gêner la mobilité géographique ; et, d'autre part, que l'enfant puisse s'orienter vers une profession différente de celle de son père, de sorte qu'on peut parler d'une homologie de structure entre la famille de type nucléaire et l'organisation industrielle des sociétés. Réciproquement, il y a homologie de structure entre la famille de type étendu et l'organisation économique des sociétés traditionnelles. » (Raymond Boudon, article « Structure ».
Exemple 2 : les systèmes de parenté chez Lévi-Strauss. « Analysant quelques systèmes de parenté caractéristiques de sociétés archaïques, C. Lévi-Strauss observe des éléments difficilement explicables. Ainsi, de nombreuses sociétés autorisent le mariage entre cousins croisés, mais proscrivent le mariage entre cousins parallèles. Ces observations excluent toute explication de type eugénique puisque la proximité sanguine est la même dans tous les cas. L'apport de Lévi-Strauss a été de montrer que les différents systèmes de règles d'autorisation et d'interdiction du mariage sont des solutions particulières apportées au problème qui se pose aux sociétés archaïques d'organiser la circulation des femmes entre les segments composant la société. » (Raymond Boudon, article « Structure ».
Exemple 3 : l’analyse structurale en linguistique. « En linguistique, l'analyse structurale consiste, de même, à concevoir les éléments d'une langue, qu'il s'agisse de phonèmes ou d'entités appartenant à des niveaux plus complexes (syntaxe, par exemple), comme des ensembles d'éléments interdépendants, c'est-à-dire des systèmes. » (Raymond Boudon, article « Structure », Encyclopædia Universalis, 2004)
La modélisation mathématique des structures. « Ce développement des sciences humaines vers le structuralisme a été rendu en général possible par le recours aux modèles mathématiques : de même que la notion de structure est liée à celle de système, de même l'analyse des systèmes, par laquelle sont mises en évidence les structures, est liée au développement du langage mathématique et de la méthode des modèles. L'économie est probablement la première discipline qui soit parvenue à une expression mathématique des systèmes. Les travaux de L. Walras et de V. Pareto traitent de systèmes de variables interdépendantes, analysant notamment les conditions de leur équilibre. En linguistique et en anthropologie, le processus a été différent. Les deux disciplines ont connu une longue tradition descriptive avant de s'orienter vers l'analyse de leurs objets en termes de systèmes. Dans les deux cas, la mutation structuraliste a été accompagnée d'un recours à la formalisation mathématique et, en fait, rendue possible par elle. Chez les pionniers de la phonologie structurale, comme Troubetzkoy, Jakobson ou Z. Harris, cette formalisation reste très élémentaire et relève de simples modèles de classification. Elle est plus complexe chez certains auteurs plus récents, N. Chomsky par exemple, avec qui la linguistique structurale devient, en réalité, un corpus de modèles mathématiques. En anthropologie, le tournant structuraliste, qu'on peut associer, entre autres, aux noms de G. P. Murdock ou de Lévi-Strauss, est également corrélatif d'une introduction de la méthode des modèles. Chez Murdock, il s'agit de modèles statistiques simples, chez Lévi-Strauss de modèles algébriques plus complexes. » (Raymond Boudon, article « Structure ».