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Violence symbolique (ou pouvoir symbolique ou domination symbolique)

Violence symbolique (ou pouvoir symbolique ou domination symbolique)

Explication de Gérard Mauger. « On peut s’étonner de ce que l’ordre social règne. La plupart du temps, de façon générale, il ne se passe rien ou pas grand-chose, sinon des petites luttes, des luttes de faible intensité, des luttes symboliques. Mais des affrontements durs, prolongés, etc., c’est quand même relativement rare dans l’Histoire. C’est, pour des sociologues dont je suis, une question tout à fait importante que de comprendre comment – en dépit de l’objectivité de conflits d’intérêts tout à fait évidents qui opposent les dominants aux dominés (pour faire simple) – il se fait que l’ordre règne. C’était une question centrale pour Pierre Bourdieu qui a construit une espèce de théorie explicative très forte autour du concept de violence symbolique, et qui permet de comprendre pourquoi, de façon générale, l’ordre règne. Grosso modo, la violence symbolique peut se décliner de deux façons. C’est d’une part tout ce qui est déployé comme efforts pour convaincre les dominés que l’ordre social tel qu’il est un ordre social légitime, c'est-à-dire, très souvent, un ordre social naturel. Et puis, d’autre part, il faut leur accorder des compensations. Donc, une fois de temps en temps, quand ils s’énervent un peu trop, on cède aussi des compensations aux dominés. » (Mauger, 2006)

Définition 1: « violence non perçue, fondée sur la reconnaissance, obtenue par un travail d’inculcation, de la légitimité des dominants par les dominés et qui assure la permanence de la domination. Par exemple la transmission par l’école de la culture scolaire (qui véhicule les normes des classes dominantes) est une violence symbolique exercée à l’encontre des classes populaires. » (Bonnewitz, 2002, « Glossaire spécifique », p. 94)

Définition 2: « C’est un des concepts majeurs et – je pense – un apport majeur de Bourdieu à l’anthropologie du politique que cette notion de violence symbolique. La violence symbolique, c’est l’imposition de formes de comportement, de formes de vie, de choix intellectuels, de choix vestimentaires, de choix linguistiques, par les dominants aux dominés. Et il montre que cette imposition traverse aussi l’Ecole. » (Bensa, 2004)

Définition 3: « Capacité des dominants à faire admettre une domination, dans le double mouvement de la reconnaissance (dans l'adhésion du dominé à l'ordre dominant qui lui paraît légitime, "normal", "naturel") et de la méconnaissance (dans l'ignorance qu'il s'agit d'une domination arbitraire, non nécessaire, non naturelle). » (Colloque PB, 2003).

Définition 4: « Pour que l’acte symbolique exerce, sans dépense d’énergie visible, cette sorte d’efficacité magique, il faut qu’un travail préalable, souvent invisible, et en tout cas oublié, refoulé, ait produit, chez ceux qui sont soumis à l’acte d’imposition, d’injonction, les dispositions nécessaires pour qu’ils aient le sentiment d’avoir à obéir sans même se poser la question de l’obéissance. La violence symbolique, c’est cette violence qui extorque des soumissions qui ne sont pas perçues comme telles en s’appuyant sur des "attentes collectives", des croyances socialement inculquées. » (Bourdieu, 1994, pp. 187-188).

Violence symbolique et habitus. « sous l’effet de l’habitus, l’agent coopère de lui-même à la violence qui le prend pour cible et prend part se son propre mouvement à son asservissement. Du coup, la force propre de la violence symbolique n’est finalement rien d’autre que la force propre de l’individu, mobilisée par l’habitus et retournée contre lui-même. Plus exactement, la violence symbolique empêche les dominés « de s’assurer toute la force que leur donnerait la prise de conscience de leur force » (Bourdieu, Passeron, 1970, p. 29) ; autrement dit, leur force est disponible, mais elle demeure inactive ; elle est donc diminuée et la force des dominants s’en trouve accrue d’autant, puisque toute force est par définition relative. Ainsi la violence symbolique conduit ceux qui la subissent à l’auto-dénigrement, à l’auto-censure et à l’auto-exclusion ; c’est alors qu’elle atteint son efficacité maximale (Bourdieu, Passeron, 1970, p. 57)

Un exemple de violence symbolique : celle de la domination masculine. « Bref, à travers l’expérience d’un ordre social où les différentes tâches restent assez rigoureusement réparties selon le sexe et à travers les rappels à l’ordre explicites qui leur sont adressés par leurs parents, leurs professeurs et leurs condisciples, elles les femmes ont acquis, sous forme de schèmes de perception et d’appréciation profondément incorporés et difficilement accessibles à la conscience, le principe de vision dominant qui les porte à trouver normal, ou même naturel, évident, l’ordre social tel qu’il est. Il s’ensuit que les femmes contribuent en quelque sorte à leur domination par des dispositions qui, étant le produit de l’ordre établi, les inclinent à se plier à cet ordre, en dehors de tout consentement volontaire, conscient, et de toute contrainte directement exercée. Pour que la domination symbolique dont elles sont victimes fonctionne, refusant les filières ou les carrières d’où elles sont exclues, adoptant celles auxquelles elles sont destinées, il faut que, comme toutes les victimes de la violence symbolique, elles aient incorporé les structures à travers lesquelles s’accomplit la domination qu’elles subissent et que la soumission ne soit pas l’effet d’un acte de la conscience et de la volonté (comme dans la "servitude volontaire"). » (Bourdieu, 1995, pp. 85-86)

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